Les Sept saints dormants ouvrent des portes

Maria Poumier

 

Dans les Côtes d’Armor, près de Lannion, les Bretons vénèrent 7 frères, quelque peu confondus avec les sept saints fondateurs de la Bretagne chrétienne : saints Maximien, Marc, Martinien, Denis, Jean, Séraphin et Constantin. [1]

Ils sont là, alignés de part et d’autre de la Sainte Vierge, au fond de la chapelle des 7 saints, un hameau près du village Le vieux Marché. Autour d ‘eux, saint Michel terrassant un infidèle, sainte Anne tenant Marie par la main, une radieuse Vierge qu’on porte en procession à la fontaine miraculeuse proche, d’autres saints encore, et des anges à profusion. « L’Alliance des croyants pour la sauvegarde de la France », Ordinare.fr, était représentée pour le pèlerinage, le samedi 23 juillet 2022.

En 1953, Louis Massignon avait été alerté par un article d’Ernest Renan, sur le pardon traditionnel du quatrième dimanche de juillet qui exalte le souvenir d’une légende très ancienne, venue de Syrie. Elle naît probablement au III° siècle, et fut consacrée par Jacques de Voragine au XIII°, dans la Légende dorée. Sur une tonalité fantastique autant qu’énigmatique, on y apprend que sept saints furent emmurés vivants dans une caverne, sous les persécutions de l’empereur Dèce, près d’Éphèse, et en ressortirent vivants plus d’un siècle après, voire 300. La grotte n’avait pas été taillée de main d’homme. La chapelle bretonne, en tout cas, fut édifiée sur une crypte abritant un dolmen.

Le récit parvint jusqu’aux rives bretonnes dans les bateaux de marins levantins, qui venaient acheter de l’étain extrait à l’époque des gisements de la région. Ce qui atteste de l’authenticité de cette importation, c’est la présence, à quelques kilomètres de là, d’une chapelle consacrée à Sainte Thècle, la première femme sainte et martyre reconnue par l’Église ; sainte Thècle a son monastère orthodoxe antique et toujours actif à Maaloula[2], non loin de Damas, et son culte reste très vivant dans le monde byzantin; si elle est bien oubliée en France, on la retrouve en Espagne et en Amérique latine, là où se constituèrent les colonies de « Turcs », en fait Syriens, Libanais ou Palestiniens.

voir la photo ici: Chapelle Sainte-Thècle, à Ploubezre

Cette première légende a une tonalité chrétienne marquée, puisqu’elle témoigne de la foi dans la résurrection de la chair, qui s’appuie sur des miracles qui font écho à la résurrection du Christ, le dimanche de Pâques.

Mais voilà qu’on la retrouve très enrichie de résonances mystiques dans la sourate 18 du Coran, dite « de la Caverne ». Voici l’excellente exégèse qu’en a faite Amélie Neuve-Église, docteur en philosophie de la Sorbonne, et directrice de la Revue de Téhéran, prestigieuse et précieuse revue publiée en français en Iran :

« En islam, les « Gens de la Caverne » incarnent les croyants opprimés par une force politique les empêchant de vivre librement leur foi, décidant alors de s’exiler volontairement et de s’en remettre à Dieu. [8] Leur loyauté inébranlable aurait incité le Créateur à les sauver, soulignant la nécessité de se confier à Dieu même dans les cas les plus désespérés. Au-delà de leur religion « extérieure », les jeunes gens évoqués dans la sourate incarnent ici l’archétype du croyant parfait, ayant une confiance absolue en Dieu en toutes circonstances. [9] Dans la mystique musulmane, l’histoire des « Gens de la Caverne » revêt une portée symbolique particulièrement riche : ils représentent ainsi l’éternelle jeunesse de l’amour divin, ainsi que la fidélité de l’amant envers l’Aimé au-delà de toute temporalité. La caverne évoque également le motif de l’exil, et la nécessité de quitter le monde terrestre afin de « mourir à soi-même » pour accomplir ensuite une renaissance spirituelle. Elle symbolise aussi l’amour et la miséricorde éternels, gardant vivante toute personne se réfugiant en eux. [10] Enfin, le sommeil, qui implique l’ »endormissement » des cinq sens extérieurs noyant traditionnellement la conscience dans le flot des préoccupations du monde matériel, est l’état par excellence permettant aux « sens intérieurs » et spirituels de chaque être de se réveiller et de manifester à la conscience profonde de l’homme certaines vérités spirituelles qu’il ne saurait percevoir à l’état éveillé. »

S’ensuivent des méditations sur le chiffre 7, ses multiples, ses variantes, et sur le rôle du chien qui garde l’entrée de la caverne ; le chien est l’un des quatre animaux qui ont accès au Paradis, selon le Coran. Son mystère inspire des artistes modernes.

voir la photo ici: Les 7 dormants, par Laurence Sibille

Nous pouvons nous identifier à ce chien-là, tout en bas du tableau qui est dans la chapelle bretonne, nous qui sommes loin d’atteindre la sainteté, mais qui pouvons et devons protéger ceux qui voient plus loin que nous.

Louis Massignon, le « catholique musulman » selon son biographe Manoël Pénicaud, fut un grand militant pour le rapprochement entre chrétiens et musulmans au moment même où éclatait la guerre d’Algérie, et fort de son immense érudition, il décida d’amener des musulmans aussi au pèlerinage breton et chrétien. Depuis lors, tous les ans, ceux qui croient au nécessaire rapprochement des croyants des deux confessions affluent. Mais on est encore loin d’un grand élan populaire, comme dans les sanctuaires mariaux, Rocamadour, Lourdes ou Fatima, où se rendent spontanément des foules musulmanes, venues parfois de loin.

Ces dernières années, c’est le souvenir du Père Hamel qui porte l’élan commun des chrétiens et des musulmans, et cela relève de l’effet miraculeux de tous les martyres : le sang de l’innocent vivifie la foi des croyants, les aide à identifier l’Adversaire dans le contexte contemporain, et les soude entre eux. Le Père Hamel était proche des musulmans, et il continue à nous rapprocher.

 

 

voir la photo ici: Saint Fiacre, patron des jardiniers, et ses anges, chapelle des Sept-Saints

 

La convergence spirituelle est toujours féconde. Rien ne nous empêche d’invoquer les sept saints dormants près de Lannion non seulement comme exemples à imiter en tout temps et en tout lieu. Nous pouvons aussi les supplier en tant qu’intercesseurs afin qu’un nouveau miracle se produise : celui d’un front commun dynamique et contagieux de croyants contre les évolutions sociétales que les pouvoirs dominants en Occident veulent nous imposer comme nouvelles normes : homosexualité à tout crin, avortement comme sacrement fondateur de la haine entre hommes, femmes et enfants, fabrication d’enfants pour alimenter un horrible marché mondial, sans parler des délires transhumanistes de toute puissance. Pour les musulmans, le rejet de ces inventions atroces est viscéral, automatique, vital ; chez les chrétiens, la propagande et la frilosité des hautes instances cléricales paralysent les bons réflexes de dégoût salutaire. Mais la crise spirituelle de l’Occident, avec son enchaînement de crises matérielles et politiques que la crise ukrainienne fait douloureusement éclater, force désormais les croyants à sortir de leur enfermement hypnotique. Et dans les formations laïques (et néanmoins vivifiées par un excellent fond religieux prêt à refaire surface), comme à l’Assemblée nationale, on assiste à des épisodes inattendus de rapprochement des droites et des gauches, avec une réelle puissance de feu contre l’oligarchie corrompue qui croyait avoir encore les pleins pouvoirs pour longtemps.

La caverne de l’ignorance où nous nous enfermons, selon le mythe de Platon, nous faisait voir des images déformées et même inversées du monde réel, et Platon nous appelait à nous en évader. On peut dire que les années Covid ont été une activation de ce mythe, l’oligarchie a tout fait pour que nous ne voyions rien d’autre que des images mensongères et terrifiantes. Cet été, il semble qu’il y ait un basculement dans le rapport de forces, et qu’on lâche un peu la bride aux esclaves enchaînés face au mur ; il nous revient de faire toute la lumière…

La caverne des Sept saints dormants, au contraire, est une grotte merveilleuse qui peut nous délivrer à jamais de notre fausse conscience mondaine : emmurés ils mûrissent, nos frères illustres, dans la foi et la sagesse, après quoi même si c’est avec retard, ils ressortent libres et agissants, comme après une longue gestation dans la matrice de la miséricorde. Si nous sommes en train de nous réveiller, après avoir consenti à l’endormissement durable de notre ego, alors nous sommes débordants de force.

En 2014, Farida Belghoul avait inauguré une route de la fidélité aboutissant au sanctuaire des Sept Dormants, après s’être battue comme une lionne pour protéger les enfants de la théorie du genre qui les empêche de se construire comme des êtres libres, sains et responsables. Elle l’a payé cher, et s’est fait chasser de l’Éducation nationale, alors qu’elle portait très haut sa mission d’enseignante et d’éducatrice des autres enseignants.

Oui, la fidélité est une grande valeur à réintroduire dans le discours et dans la conscience : fidélité à la morale traditionnelle, qui est naturelle, fidélité aux lieux, aux rites et aux rassemblements sacrés. Islam et christianisme sont deux confessions ouvertes à toute l’humanité et confiantes en l’égalité devant Dieu. On peut les faire fructifier parallèlement, non en opposition.

Le culte des Sept saints dormants, c’est une démarche intérieure intemporelle et actuelle à la fois.[3] C’est une expérience vivifiante de rejoindre les fidèles bretons qui vont tous les ans, sans phrases, mais de tout leur cœur, reprendre en marchant les paroles de la gwerte du XVIIIème siècle qui dit :

« Ils étaient sept frères de haut rang, gens sages et de raison,

Sept serviteurs de Dieu, lorsqu’ils étaient sur terre ;

Sept défenseurs pour nous depuis qu’ils sont dans la gloire.

Autrefois était un homme cruel, nommé Dèce,

L’empereur le plus méchant que l’on puisse trouver,

Il donne l’ordre de maçonner la caverne sur eux,

Comme s’ils étaient morts, et eux pleins de vie !

Voir la photo ici: La chapelle des Sept Saints, près de Vieux Marché

Photos : MP.



[1] Outre saint Yves le grand évangélisateur et patron des avocats, les sept saints médiévaux de Bretagne sont Samson, Pol Aurélien, Brieuc, Tugdual, Malo, Patern, Corentin.

 

[2] Douze religieuses de Maaloula (Syrie) avaient été enlevées en septembre 2013 par le Front al-Nosra, un groupe lié à al-Qaïda, quand celui-ci avait envahi la ville. Elles avaient été relâchées en mars 2014 mais le monastère Sainte-Thècle était fermé au public. Ce lieu saint renfermerait les reliques de sainte Thècle. https://fr.aleteia.org/2018/08/21/syrie-vandalise-par-des-terroristes-le-monastere-sainte-thecle-va-rouvrir/

 

[3] Merci à ceux qui se sont investis dans le pèlerinage de 2022, voir ici le superbe programme, réalisé avec le pardonneur Jean-François Bour, le Père Patrick Salaun et le clergé local, ainsi que l’imam local, des artistes, des anthropologues, l’association Source des 7 dormants

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