Israël Shamir répond aux questions de Rivarol, le 24 février 2023
Un an après le lancement de l’opération spéciale de la Russie en Ukraine, comment analysez-vous la situation sur le terrain ?
Au début de la guerre, il y a eu l’ultimatum de Poutine à l’Ukraine et à l’OTAN. Il a exigé de l’Ukraine qu’elle renonce à son désir d’adhérer à l’OTAN, et de l’OTAN – qu’elle se retire à ses frontières de 1997, et qu’elle reste à l’écart des anciennes républiques soviétiques. Il a essuyé un refus brutal. L’Ukraine a commencé à préparer son attaque contre le Donbass, l’enclave pro-russe au sud-est de l’Ukraine. Poutine a considéré que la guerre était inévitable, et a décidé de l’empêcher. En quelques jours, l’armée russe s’e tenait aux portes de Kiev. Des négociations ont eu lieu entre Kiev et Moscou à Istanbul, mais l’Angleterre a insisté pour y mettre fin. À ce moment-là, Washington et Londres ont pris le contrôle de l’armée de Kiev. Les Russes se sont rapidement retirés dans le Donbass. Ils ont découvert que leur armée était en mauvais état. C’est le caractère national des Russes : ils ne préparent pas les choses à l’avance, et ensuite ils se mettent à jour une fois que la guerre a déjà commencé. Cela a un avantage : ils savent ce dont ils ont besoin et ils le font très vite.
Les Russes sont cependant contrariés par l’échec de la première offensive. Ils ont gagné la bataille de Marioupol, un port important sur la mer d’Azov. Ils ont conquis les vastes souterrains d’Azovstal, mais la population est toujours mécontente. Ils ont alors fait appel au général Sourovikine, célèbre en Syrie (on l’appelait le général Armageddon). Mais cela n’a pas servi à grand-chose : Sourovikine a bombardé généreusement l’Ukraine, mais a été obligé de quitter l’importante ville de Kherson et de replier l’armée sur la rive est du Dniepr. Le commandement des opérations en Ukraine passe alors au général Guerassimov, le chef d’état-major russe. La guerre continue – sans changements drastiques. Les Russes considèrent qu’ils se battent contre l’OTAN, puisque c’est l’OTAN fournit à l’armée ukrainienne des armes et des instructeurs. Et il semble que Poutine ne soit pas pressé de terminer la guerre. L’OTAN non plus d’ailleurs : les États-Unis et le complexe militaire industriel américain profitent de la guerre aux dépens de l’Europe, tandis que l’Europe n’a pas de politique indépendante. Les politiciens européens sont inféodés aux États-Unis. L’Ukraine aussi. Les Russes se battent donc comme les Français pendant la Première Guerre mondiale – dans des tranchées sur des centaines de kilomètres. Les Russes pensent que ce ne sera pas terminé tant que l’armée ukrainienne ne se sera pas rendue, mais cela ne semble pas être une question de semaines, ni même de mois. Plutôt d’années. Jusqu’à ce que l’Ukraine soit à court de soldats, et alors probablement c’est l’armée polonaise viendra la remplacer.
Pensez-vous que le choix de Vladimir Poutine d’intervenir directement était justifié ?
Probablement oui. L’OTAN voulait de toute façon combattre les Russes, il était donc logique de donner le coup d’envoi à la guerre. De toute façon, ils veulent aussi combattre l’Iran et la Chine. Il est donc logique que les Russes commencent par l’Ukraine. L’Ukraine est également le lieu où se trouvent 24 biolabs du Pentagone destinés à attaquer la Russie. Il aurait été préférable de commencer en 2014, et encore mieux de commencer encore plus tôt. Mais la Russie était alors encore trop faible.
La Russie a-t-elle les moyens de s’imposer contre l’Ukraine, qui mène une guerre par procuration pour l’OTAN ? Poutine a-t-il surestimé ses forces ?
Oui, la Russie est un pays immense avec de grandes ressources. Peut-être devra-t-il recourir au nucléaire. Mais les Russes sont suffisamment têtus et fatalistes. L’OTAN devra se retirer, sinon… On avait le sentiment que Poutine avait surestimé ses forces, mais maintenant cela n’a plus d’importance, car la guerre mondiale semble de toute façon inévitable.
Comment cette guerre a-t-elle changé la vie en Russie et en Europe ?
La vie en Russie n’a pas changé de manière perceptible. Les magasins sont bien approvisionnés, les stocks en tout genre sont abondants. Les cafés et les restaurants sont pleins. Le moral est au beau fixe. Les lieux de vacances sont bien fréquentés. Au lieu daller sur la Côte d’Azur, les gens vont en Afrique du Sud et aux Seychelles. Les sociétés étrangères sont reparties ailleurs, leurs entreprises sont maintenant détenues par des Russes – et le changement s’est fait à bas prix. De nombreuses conditions gênantes qui étaient acceptées par les Russes à l’époque d’Eltsine et de Gorbatchev sont supprimées aujourd’hui. Même dans le secteur le plus infiltré, le cinéma et le théâtre, les États-Unis perdent leurs positions de premier plan.
La machine militaire fonctionne bien. Ils ont redémarré la production de chars et de munitions, d’avions et de missiles. Considérez la guerre d’Ukraine comme un échauffement préalable à la guerre mondiale, tout comme la campagne finlandaise de 1940 était un échauffement en vue de la Seconde Guerre mondiale.
Quelles sont les différentes tendances parmi les dirigeants russes ? Y a-t-il une volonté des élites de remettre en cause le président russe ?
Pendant longtemps, la Russie a suivi et (dans une certaine mesure) été guidée par l’Occident. A l’époque d’Eltsine, cette tendance pro-occidentale est devenue dominante. Avec Poutine, elle l’est moins, mais elle est encore importante, surtout dans les grandes villes : Moscou, Saint-Pétersbourg, Ekaterinbourg. Une plus petite partie des élites et une grande partie des masses pensent que Poutine est trop mou et aimeraient avoir un dirigeant plus fort. Ils voudraient nationaliser les propriétés privatisées et éliminer les poches d’influence occidentale. Ils appartiennent au parti communiste ou au parti démocratique national. Si le président Poutine démissionnait, il est fort probable que le prochain dirigeant serait plus dur que lui. Mais en attendant, il semble que rien ne menace le règne de Poutine. L’année prochaine, il y aura les élections présidentielles, et Poutine continuera probablement à gouverner. Mais l’échec de la guerre en Ukraine pourrait changer tout cela.
Après la crise du Covid, cette guerre a-t-elle renforcé l’emprise des partisans du Grand Reset sur les choix de l' »État profond » en Occident ?
Les partisans du Grand Reset ne sont pas particulièrement populaires en Russie. Ils sont moins voyants aujourd’hui en Occident, également. Je pense qu’ils ont dépassé leur apogée, et la guerre en Ukraine joue contre eux. Le Covid a disparu, et l’agenda vert a été fortement utilisé pour les États-Unis et contre la Russie et l’Europe. Les thèmes gay et trans sont ignorés en Russie, mais aux États-Unis, ce sont toujours des sujets importants. Le remplacement des autochtones par les immigrants est quelque chose d’inconnu en Russie, parce que le système de protection sociale n’est pas très développé et la bureaucratie russe est trop rigide. En revanche, c’est certainement un problème pour l’Europe et les États-Unis.
Que signifie pour vous la politique internationale de Biden ? On a l’impression que sa montée en puissance est une fuite en avant pour cacher une crise profonde au sein de son propre pays ?
Biden a plusieurs crises à cacher : (1) le pic pétrolier, (2) la dévaluation du dollar, (3) la montée en puissance de la Chine et de la Russie, (4) la fin du monde unipolaire, (5) la destruction de la base industrielle des États-Unis. C’est grâce au sabotage du North Stream que les États-Unis développent leur industrie, vendent leur pétrole, et continuent à creuser leurs déficits. Le problème est la dégradation des infrastructures, et l’échec inévitable d’un système basé sur la finance.
Quelle est la position d’Israël dans cette nouvelle ère géopolitique ?
Israël est fortement influencé par les Etats-Unis. Netanyahou était un bon partenaire de Trump, mais il ne se débrouille pas bien avec Biden. L’opposition israélienne organise maintenant de grandes manifestations contre lui. En fait, Netanyahou était également ami avec Poutine, mais il est maintenant forcé par les États-Unis à soutenir l’Ukraine.
Le regain de tensions avec l’Iran et la reprise des affrontements dans les territoires occupés marquent la volonté israélienne de reprendre une politique agressive dans la région ?
Le conflit avec l’Iran est une vieille idée fixe de Netanyahou, mais il veut que ce soient les États-Unis qui se battent pour lui. L’élimination des Palestiniens est un objectif bipartisan ; tous les Israéliens la souhaitent, et pratiquement tous préfèrent l’apartheid à la démocratie. Israël était agressif lorsque l’opposition actuelle était au sommet. Il y a donc peu de différence entre le gouvernement actuel et le précédent.
Dans ce monde en marche vers la guerre, pensez-vous qu’il y a encore un espoir de ne pas basculer dans la barbarie ?
Je pense qu’il y a une grande chance de guerre nucléaire – que ce soit en Ukraine ou en Iran. Les Etats-Unis sont trop belliqueux, et cela causera probablement notre perte. Pour la France, il serait bon qu’elle sorte de l’OTAN, comme elle l’avait fait auparavant, et qu’elle améliore ses relations avec la Russie, l’Iran et la Chine.
Questions: Monika Berchvok, traduction: Maria Poumier
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