Considérations sur l’hystérisation, le pathos, et la logique.
Par Sébastien Renault.
Abrégé :
L’exploitation stratégique d’éléments émotionnels capables de conditionner dangereusement les esprits vers la démesure de l’hystérisation, en réponse à telle crise ou à tel conflit, est une composante implacable de l’ingénierie comportementale et de son exercice aujourd’hui plus prononcé que jamais à travers un monde occidental déstructuré, tribalisé, culpabilisé, déculturé, pornifié, dés-instruit… Or, la discipline de la raison (impliquant le renoncement à soi-même qu’exige le courage de s’efforcer à penser), si nous savions la remettre à l’ordre du jour, constituerait une première pierre de salut pour commencer à inverser cet état objectivement désastreux. Il s’avère crucial d’avoir conscience que la manipulation à laquelle nous sommes peu ou prou confrontés au jour le jour s’évertue à l’exact contraire, puisqu’elle a pour objectif principal de contourner la pensée rationnelle et d’inciter à des réponses émotionnelles immédiates, primaires et hystérisées.
Les efforts déployés par une pensée qui s’efforce encore de rester lucide et logiquement distancée par rapport aux divers traumatismes et tribulations d’un monde en crises séquentielles, en incitant à une réflexion autant que possible rationnelle, objective et argumentée, prennent le contrepied radical des efforts auxquels s’emploie, de son côté, la propagande de l’embrasement émotionnel programmé et activable à volonté – logiciel d’influence de la perception collective pour générer des réponses émotionnelles conditionnées et que l’on voit aujourd’hui se décliner selon le même schéma d’imposition d’un narratif de fond systématiquement asséné : alarmisme climatique, dictature covidiotico-hygiénique, russophobie otano-ukrainiste, israélisme « anti-terroriste » obligatoire – comme a notamment voulu l’illustrer la très éloquente mascarade républicaine de la marche théâtrale « contre l’antisémitisme » du 12 novembre 2023 à Paris, rassemblement qui réunissait une jolie brochette de parjures du monde du showbiz et du pouvoir, engeance trans-partisane et traîtresse du peuple d’hier et d’aujourd’hui.
À travers un format de paragraphes très succincts, nous nous arrêtons ici sur quelques simples considérations portant sur le phénomène hémorragique de l’hystérisation contemporaine, cette forme stratégique de dictature par l’émotion primaire manipulée ; et sur les moyens, au demeurant connus[1], d’en contrecarrer la contagion universelle.
La polarisation opinioniste
Les opinions règnent aujourd’hui sans partage, à la fois sur le plan épistémologique de la pensée (se plaçant, contre elle-même, dans un rapport de déni nominaliste d’obédience wokiste par rapport à l’objet propre et actualisateur de l’intelligence, au sens propre du terme[2]) et sur le plan politique de l’agir moral (mis en rapport, de reconnaissance ou de déni, avec l’objet propre de la volonté). C’est là ce que dicte, avec la rigidité sectaire qu’il prétend honnir, l’ordre du jour de la communication « post-factuelle » : il n’y aurait pas tant de vérité (d’aucuns n’y voyant qu’une vieille lune de l’héritage métaphysique et scientifique pré-scientiste de notre Occident « phallogocentrique »[3]) que d’opinions à géométrie ultra-variable – au nom d’une complexité du monde censée entériner la posture de la variante épistémique du multiculturalisme, à savoir le relativisme de rigueur. Une fois posé ce terrain faussement justificateur de la post-vérité opinioniste, au demeurant et contradictoirement absolutisée en vérité ultime, le besoin qui en émane avec toute la force d’une violente nécessité mécanique, celle de polariser de plus en plus les esprits et leurs opinions respectives (et prétendument toutes respectables, comme si, par exemple, le mensonge avait le moindre droit d’être respecté, sous prétexte d’être une « opinion »), se fait irrémédiablement sentir aux tréfonds des entrailles de la Bête systémique.
Car, si diviser pour mieux régner représente un avantage de taille du point de vue du pouvoir, il convient surtout, pour y parvenir de manière efficace, de vectoriser la guerre plus ou moins larvée de tous contre tous. C’est là que l’outil de l’hystérisation prend tout son sens manipulatoire et s’applique le plus utilement, en qualité de stratégie de conquête des esprits, aux besoins de conditionnement marchands et idéologiques de la technostructure.
Le sensationnalisme médiatique
Les médias contemporains de grand chemin, par vocation de prostitués professionnels dans l’ordre intellectuel de la communication au service du pouvoir, contribuent au premier chef à la diffusion spécieuse d’urgences émotionnelles, par la mise en exergue d’éléments sensationnels, dramatiques ou choquants extraits de situations superficiellement appréhendées par un grand public conditionné à la consommation intoxicante d’actualités en continu. En jouant cette carte de l’intensification émotionnelle et de la diabolisation des voix contradictrices, au détriment de la fonction première[4] de priorisation d’informations factuelles et de compréhension des nuances d’une problématique donnée (par exemple, de nature géopolitique explosive), le sensationnalisme médiatique agit plus efficacement que jamais sur la manière de modeler les esprits, de capter l’attention du public, de stéréotyper ses réactions et d’amplifier à outrance ses émotions les plus primaires. L’encouragement à une adhésion irréfléchie aux discours alarmistes contemporains les plus connus (climatiques, sanitaires, géopolitiques, …) procède de cette stratégie malheureusement gagnante – encore au plus fort de son pouvoir sur une grande partie des populations qu’elle victimise, même après plusieurs décennies de climatisme lourdement artificieux et plus de trois ans d’escroquerie covidiotico-sanitaire, aujourd’hui abondamment documentée).
La désinformation en temps réel
En période de crise, la désinformation et les fausses nouvelles se propagent avec encore davantage d’aisance que d’accoutumée. Les mensonges et les exagérations nourrissent la peur, la confusion et la colère, contribuant à la dissémination et au maintien de l’hystérisation.
L’intimidation intellectuelle : le « fact-checking »
Mission inavouée mais éminemment prioritaire : empêcher toute voix dissonante d’émerger ! La vérification de l’exactitude des faits constituerait, en soi, une activité tout-à-fait honorable, dans le cas où une société et ses instances médiatiques seraient communément portées vers la connaissance de la vérité et véritablement déterminées à la faire prévaloir contre toutes les formes du mensonge. Mais ce que nous appelons aujourd’hui les « fact-checkers » (selon cette fâcheuse tendance à maintenir intacts et entiers un grand nombre d’anglicismes en français) sont là pour faire l’arbitrage de l’information « correcte », non pour prioriser la vérité. Par vocation réelle, derrière celle qu’ils feignent d’incarner, les « vérificateurs de faits » craignent la contrebalance du discours alternatif, de la prise de position intelligemment réfractaire à l’imposition d’un narratif obligatoire.
La stratégie du « fact-checking » que nous ciblons ici comprend, entre autres caractéristiques pas très orthodoxes, les éléments suivantes – pas très orthodoxes, stipulons-nous, pour qui veut bien en juger au regard des critères premiers 1) de la vérité irrécusable (à l’encontre de la subversion en cours et du mensonge propagandiste asséné comme « fait » à faire prévaloir, à tous prix, contre le « complotisme ») ; et 2) de la protection des libertés civiles (mises en avant contre la tyrannie d’un pouvoir prônant le prétexte fallacieux d’une expertocratie dépourvue de tout fondement, autant scientifique, que légal, qu’historique et que politique) :
- la falsification de sources : les « vérificateurs » autoproclamés déforment (ou dénaturent) un certain nombre d’informations soigneusement sélectionnées en provenance de sources légitimes aux fins d’étayer telle ou telle fausse nouvelle, telle ou telle fausse allégation, pour autant qu’elles sauront se prêter au jeu du narratif officiel érigé en réalité de substitution ;
- la citation sélective : déclarations sorties de leur contexte, exploitées dans le but de manipuler le sens initial d’une déclaration et d’éveiller une impression trompeuse ;
- la sélection de données : exploitation sélective à dessein d’accréditer tel ou tel argument particulier, tout en occultant les données contradictoires ;
- la fabrication de preuves : production de faux documents, de fausses citations ou de fausses images pour faire valoir telle allégation officielle ;
- la fausse équivalence : traitement de situations inégales comme si elles étaient, de facto, de même nature ;
- la diffusion de théories anti-complotistes du complot: postulation de « vérités » sans fondement et délégitimation des contre-preuves, aussi crédibles soient-elles ;
- la coordination collusive des institutions juridico-pénales et médiatiques : politisation et instrumentalisation violente des plateformes numériques ;
- la réglementation de la liberté d’expression, à titre fallacieux de « défense de la démocratie », par le biais d’une censure validée par l’Union européenne : les « vérificateurs de faits » autoproclamés y trouvent la confirmation du « bienfondé démocratique » de leur travail d’amputation des faits gênants moyennant le pouvoir consacré de la censure.
La rhétorique émotionnelle unidirectionnelle
Les voiles des discours autorisés comptent, à dessein, sur les vents violents d’une rhétorique émotionnelle intensifiée pouvant jouer à leur faveur. Il s’agit de susciter la stupéfaction, la démoralisation, la phobie, la tristesse ou l’anxiété chez un public massifié et rendu passif par sa dépendance addictive aux écrans, en vue de mobiliser une réponse immédiate, la plus unidirectionnelle possible.
La désignation de boucs émissaires
Dans de telles circonstances de crise et de polarisation opinioniste hypertrophiée, l’une des tendances maîtresses qu’impose notre système d’antagonisme hystérisé porte sur l’identification de coupables, ou « boucs émissaires ». L’identification facile des groupes ou des individus décrétés « responsables » des problèmes perçus permet aux forces de l’intoxication prestidigitatrice politico-médiatique de canaliser les émotions négatives du public vers des cibles spécifiques. La désignation d’un ennemi commun (le CO2, les antivax, Poutine, les Arabes[5], …) vise manifestement à faire naître un esprit et un sentiment d’unité, véritable ferment de la bonne conscience imaginaire si chère au « camp du bien » otanien. La résurgence manichéenne, caractéristique de notre belle époque de tous les « progrès » wokistes, cherche ainsi à s’épargner l’effort étiologique difficile que conseille, par contraste, une vision rationnelle et quelque peu retirée de la prise évènementielle immédiatisée par la grande machine informationnelle à roulement ininterrompu.
Biais de confirmation et « bulle » cognitive de filtrage autoréférente
Les individus ont tendance à rechercher et à consommer des informations qui correspondent à leurs croyances préexistantes, phénomène donnant lieu à la formation de « bulles » cognitives de filtrage autoréférentes où seules sont acceptées et promulguées les expressions du tribalisme identitaire du groupe intéressé. Le reste est honni, récusé, caricaturé, filtré sans autre forme de procès. La polarisation et l’hystérisation ne peuvent qu’en ressortir renforcées. Il suffit de lire (à l’occasion) les commentaires sur les médias-sociaux, y compris ceux de la prétendue ré-information…
Sélection et distorsion des faits
La manipulation par le pathos implique toujours la sélection sélective de « faits » particuliers pour présenter un argument de manière biaisée et, bien sûr, émotionnellement chargée. Les professionnels de la manipulation d’audiences à grande échelle n’ont qu’à déformer la réalité en exagérant certains éléments savamment choisis. La provocation de réactions émotionnelles intenses s’en suivra très rapidement sur les réseaux sociaux, coutumiers de la course à la derrière info explosive pour obtenir un maximum de vues et de « likes ».
Utilisation d’images et de slogans tapageurs
Les manipulateurs professionnels utilisent souvent des images, des slogans et des discours ridiculement simplifiés pour encapsuler des idées complexes par quelque entremise émotionnelle bien frappée. Cela facilite considérablement la mémorisation et la diffusion du message, tout en conditionnant à très bas prix les réponses hystérisées du public.
Identification émotionnelle
Les instances manipulatrices cherchent encore à établir une connexion émotionnelle avec leur public en utilisant des anecdotes, des « témoignages personnels », ou certaines images aptes à susciter des émotions fortes. Technique un peu plus subtile de facilitation de la persuasion par création d’un sentiment d’identité entre le manipulateur et son public.
Appel aux peurs et aux préjugés
En exploitant les peurs et les préjugés existants déjà dans la société, les instances manipulatrices s’efforcent de générer une atmosphère anxiogène et de soulever des réactions émotionnelles immédiates autour de préoccupations chargées et impliquant l’ensemble de l’échiquier politique : la sécurité, l’économie, le climat, l’identité culturelle…
Exploitation des valeurs et des croyances
En alignant le discours officiel sur les valeurs et les croyances préexistantes d’un public cible, les instances manipulatrices peuvent se concentrer sur le levier d’émotions en accord avec ses convictions précises. Cela crée un terreau favorable à l’acceptation du message manipulatif.
Exploitation de la fibre victimaire
En maître usurpateur de la définition et de la distribution du statut de victime (d’une injustice réelle ou simplement perçue), le manipulateur médiatique se met en position de faire naître de la sympathie et/ou de l’indignation chez son public, pâte par trop malléable en tant qu’entité collective facilement portée au conditionnement de ses émotions. Stratégie renforçant l’idée que le message d’exploitation manipulatrice consiste avant tout en un subterfuge psychologique et en une réaction « justifiée » en réponse à une situation présumée « injuste ».
Répétition et renforcement
Les instances manipulatrices de l’intoxication médiatique autorisée s’appuient encore sur la répétition pour renforcer leur message émotionnel. Plus un message sera rabâché, plus il aura de chances de s’ancrer dans l’esprit des gens, d’induire une acceptation tacite du discours dominant sans laisser place à quelque analyse critique approfondie.
Discours apocalyptiques
En périodes de crise et d’instabilité internationale aggravée, certains discours de marchands « eschatologiques » adoptent une tonalité apocalyptique (ou messianiste) trompeuse. Saturés d’idées théologiques erronées et de conceptions imprécises sur la réalité eschatologique dont traitent notamment les textes sacrés, ces discours sont présentés – pour faire du buzz en ligne et se parer, auprès d’audiences aussi naïves qu’ignorantes, d’une stature prophétique qu’ils n’ont en réalité aucunement – sous des allures de prédictions de conséquences catastrophiques pour le monde, sauf à privilégier telles ou telles actions ou recettes plus ou moins immédiates face aux urgences et aux dangers imminents (de dérèglement climatique, de troisième guerre mondiale, etc.).
Pathos, ou la dictature de l’émotion
La manipulation par le pathos, entendue ici comme technique de rhétorique visant à maximiser le pouvoir des émotions et des sentiments plutôt qu’à fournir des arguments logiques en bonne et due forme, est un outil de communication et de mobilisation particulièrement puissant du grand public contemporain. La distillation délibérée d’émotions fortes pour influencer l’opinion et le comportement des foules n’est évidemment pas chose nouvelle en soi. La donne a pourtant quelque peu changé aujourd’hui, dans le sens d’une aggravation de plus en plus prononcée. On pourra y trouver plusieurs facteurs causatifs, dont la portée actuelle de l’impact des écrans et du pouvoir d’accoutumance addictive des plateformes de consommation aux contenus dégradants de bêtise et d’immondices ; conçus en tant que tels pour agir à la manière d’une drogue forte sur le cerveau et le système nerveux des consommateurs vampirisés, conditionnés, et finalement zombifiés.
L’utilisation propagandiste des ressorts du pathos, alliée à la dimension psycho-chimique du pouvoir de captation de l’attention des foules, est en effet une arme de science comportementale dont les technocraties contemporaines, trop désireuses de brider la rationalité du débat public, ne peuvent faire l’économie. Elles en ont un besoin intrinsèque, « démocratique », électoral… Rien ne tiendrait, en « démocraties » occidentales telles que nous les subissons aujourd’hui, sans l’entremise de réponses émotionnelles stimulées le plus régulièrement possible, au détriment d’une analyse critique et objective de la réalité. Un débat public robuste et éclairé nécessite toujours un équilibre entre les éléments émotionnels, éthiques et rationnels de la communication digne d’être qualifiée d’humaine. Chose ayant presque disparu aujourd’hui – sauf chez les vrais promoteurs de liberté, de souverainisme, d’objectivité du vrai et de son empire premier sur l’intelligence des êtres vraiment libres, c’est-à-dire également responsables. Par contraste, les experts médiatiques de la pensée acceptable sur les plateaux télés et 95 % des radios ne cessent de répéter que la « démocratie » se trouve aujourd’hui menacée, tout en s’inquiétant de voir de plus en plus de « gueux » participer aux débats d’idées (sur internet, sur telle ou telle chaîne indépendante), en le faisant avec des arguments rationnels et politiquement informés. C.Q.F.D.
Quelques moyens élémentaires pour contrer la propagande émotionnelle
Contrer la désinformation et la propagande n’est certes pas chose aisée, puisqu’on ne peut, en l’état, espérer lutter à armes égales sur le vaste champ de bataille de la guerre des esprits menée au moyen de l’information. Il est néanmoins possible et impératif de contribuer, dans une certaine mesure tout-à-fait réelle, à la mise en œuvre d’une société plus informée, plus responsable, plus critique et plus résiliente face aux fonctionnements de la grande machine propagandiste au service de la « Bête de l’évènement » et du conditionnement de foules et d’opinions hystérisées.
Nous proposons ici quelques moyens non-exhaustifs et au demeurant connus pour œuvrer en ce sens, dans la mesure des moyens de chacun. Il ne s’agit pas tant de se faire « influenceur » en ligne, à la chasse permanente d’un nombre toujours plus grand de vues, en sorte de bénéficier du soutien algorithmique de YouTube et consorts. Cela sera certes utile, en son ordre propre, à ceux qui s’y emploient et le font par devoir d’information et de vérité. Mais, visibles ou moins visibles, il nous incombe à tous de poser notre petite pierre à l’édifice d’un barrage de plus en plus élevé de probité et de connaissance à la face du tsunami de mensonges, d’âneries, de dénaturation, de pourrissement et de vulgarités que vomit sur le monde ce « Système » spirituellement bestial de perversion et de chaos endémique.
- connaître des techniques de persuasion : se familiariser avec les techniques de persuasion et les biais cognitifs ;
- comprendre la manière dont sont conçus les narratifs enjoints à nos esprits trop souvent permissifs et complices de notre propre servitude ;
- identifier et comprendre les biais idéologiques des médias dominants pour se donner les moyens fondamentaux de discerner la désinformation et les techniques de manipulation (consolider la résistance logique à cette manipulation) ;
- affiner sa rationalité et développer des compétences de pensée critique pour se donner les moyens d’évaluer objectivement les informations et les discours dominants ;
- se méfier des discours animés par un esprit de polarisation et de simplification des questions complexes ;
- se dédire des affirmations sensationnalistes ;
- remettre en question des informations et de la manière dont elles sont présentées ;
- recherche de sources multiples ;
- apprendre à penser de manière analytique rigoureuse ;
- entreprendre une vérification des vérificateurs de faits ;
- soutenir les médias indépendants et l’authentique journalisme d’investigation ;
- identifier les sources sans affiliation à des intérêts particuliers ;
- pratiquer la prise de recul émotionnel au lieu de se jeter sur son portable pour réagir à chaud, en ligne, à une information ou à une opinion ;
- se former une conscience et une pensée systémique pour apprendre à aborder les problèmes de manière holistique – comprendre les systèmes complexes qui sous-tendent les problématiques du monde plutôt que de céder à des explications simplistes et polarisées ;
- comprendre l’impact des émotions sur la formation des opinions – éduquer sur la manière d’anticiper, de reconnaître et de gérer les émotions afin qu’elles ne submergent pas le processus de prise de décision rationnelle ;
- comprendre l’effet des réseaux sociaux sur la polarisation et l’hystérisation…
Repères logiques : quelques bases élémentaires oubliées
D’un point de vue proprement et techniquement logique, aussi élémentaire soit-il, la détermination de la validité d’un argument passe par l’examen de sa structure formelle (le rapport de ses prémisses et de sa conclusion). C’est cette primauté du cadre formel d’un raisonnement proprement logique qui permet, en premier lieu, de se prémunir des arguments de type émotionnel, lesquels fourmillent aujourd’hui dans le cadre non-formel du discours public.
En tant que science des inférences valides, la logique s’occupe d’abord de la validité des raisonnements en portant sur la forme de l’enchaînement déductif des pensées. D’où les principales règles de déduction canonique, que l’on peut formuler comme suit :
- [p ˄ (p ⸧ q)] ⊢ q, ou la déduction par modus ponens(une opération centrale qui peut également être exprimée en tant que séquence d’inférences) ;
- [∼q ˄ (p ⸧ q)] ⊢ ∼p, ou la déduction par modus tollens;
- [p ⸧ (q ˄ ∼q)] ⊢ ∼p, ou la reductio ad absurdum;
- (∼p ⸧ ⊥) ⸧ p, ou, en mathématiques, la reductio ad impossibile (si le fait de supposer que p est faux implique la falsification du raisonnement, alors p est vrai) ;
- [p ˄ (∼p ˅ q)] ⊢ q, ou le syllogisme disjonctif ;
- p, q ⊢ (p ˄ q), ou la conjonction ;
- (p ˄ q) ⊢ p
(p ˄ q) ⊢ q, ou le détachement.
Ces règles de déduction reposent sur les trois contraintes de valeur de vérité suivantes :
- ∼p est vrai si p ne l’est pas ;
- p ˅ qest vrai si au moins l’un, de p et de q, est vrai ;
- p ˄ q est vrai si p et q sont tous les deux vrais.
On se rappellera que la période moderne en logique, période notamment inaugurée par Frege, marque sa mutation du statut de science des propriétés de la déduction (dans un système inférentiel précis, celui du syllogisme) à celui de science formelle. Ce qui échappe souvent aux laudateurs de la logique formelle moderne et de ses nombreuses techniques applicables à la science contemporaine, aux mathématiques, ainsi qu’aux raisonnements ordinaires, c’est la place de l’influence des travaux de divers grands penseurs scolastiques qui, dans la continuité des travaux des Mégariens et des Stoïciens, en plus de raffiner la déduction syllogistique et la logique modale aristotélicienne, s’intéresseront aux formes de raisonnements méta-syllogistiques de combinaison des propositions (sous forme, entre autres, de syncatégorèmes). Prémisse du calcul moderne des propositions, l’approche scolastique privilégiera les structures inférentielles de ce qu’on appelle aujourd’hui la théorie des tropes[6], en se concentrant sur l’implication logique (on va voir que l’implication, prise dans le sens fallacieux du terme, est une opération courante du langage propagandiste au service de l’amplification émotionnelle). Les propositions scolastiques auront en outre le mérite de marier la double fonction formelle et naturelle du langage en étudiant les rapports de ses formes linguistiques (gouvernées par la grammaire), le domaine des signes graphiques, celui des signes vocaux, et celui de l’adéquation ontologique entre l’ordre des signes (signa) et le monde des choses (rerum). L’œuvre considérable de Jean de Saint-Thomas (1589 – 1644) atteste de l’étendue créative et de la subtilité de la contribution scolastique oubliée par la modernité[7].
En cela, et contrairement à la modernité portée à se focaliser sur l’analyse de la signification des énoncés et sur les règles syntaxiques de bonne formation, l’héritage logique correspondiste caractéristique de la scolastique dispose d’un angle de vision plus holistique – mesurée à l’aune de l’histoire de la pensée – au regard des rapports qu’entretiennent logique, morphologie linguistique et ontologie (psychologique, sémiotique, quidditative). Cette vision plus large[8], notamment parce qu’elle ne relègue pas la métaphysique à la trappe pan-linguistique imposée par la structuralisme, le néo-positivisme et le dé-constructivisme, implique déjà des variables quantifiérs (avant même l’invention de la quantification), des fonctions prédicatives et identifiantes (référentielles) ; et, fondamentalement, une sémantique à la fois formelle et ontologique fournissant avec elle une définition pour la valeur de vérité d’un énoncé aboutée à la correspondance de la règle formelle et de la charge référentielle matérielle de cet énoncé. Ce sera bien la modernité, par préjugé idéologique de supériorité intellectuelle et morale imaginaire sur la période prémoderne, qui brisera ce lien par lequel se tisse le sens, entendu en son sens épistémo-sémiotique.
La quantification entrera en jeu comme élément de justification du développement de la logique moderne à la fin du XIXe siècle pour des raisons déjà impliquées par le lien mis en évidence par les logiciens et métaphysiciens scolastiques. Les termes « quelque chose », « rien », « tout le monde », « quelqu’un », « personne », etc., ne désignent pas des objets. D’un point de vue logique, la conséquence de ce hiatus sémiotique réside dans le fait que les noms et les quantificateurs ne fonctionnent pas de la même manière. Grammaticalement, cette distinction logique est généralement cachée au premier abord. Mais au-delà des apparences qu’impose naturellement l’usage irréfléchi de la grammaire, les quantificateurs se manifestent couramment en philosophie et en mathématiques. Les arguments mettant en scène « tout », « quelque chose », etc., fonctionnent sur l’ambiguïté logique associée à leur emploi sémantique diversifié dans la formulation et l’application de ces disciplines – en proie à une introspection épistémologique difficile, notamment parce qu’il faut apprendre à désapprendre certaines évidences et automatismes profondément ancrés dans nos habitudes linguistiques involontaires. Par son statut grammatical propre, dû à sa fonction logique implicite, le quantificateur, en tant que mot ou en tant que phrase, est susceptible d’assumer la fonction de sujet d’une proposition, sans néanmoins qu’un tel sujet puisse être dit se référer à un objet réel, en tant que tel identifiable.
La difficulté n’est pas moins grande lorsqu’on considère d’un peu plus près de quel impact logique peuvent souffrir nos raisonnements quotidiens en raison de leur affiliation à un usage abusif des quantificateurs (avec, en guise de solution, de moyens bien moins efficaces que ceux dont disposent la philosophie et les mathématiques pour s’imposer un effort conscient d’analyse autocritique et d’affinement de leurs outils de pensée). Elle n’est pas moins conséquente et sémantiquement coûteuse (dans ses effets plus ou moins subliminaux sur l’inconscient collectif) par sa mise en œuvre journalière et ubiquitaire à travers la rhétorique de production de l’information en continu. Le brouillage des noms et des quantificateurs[9] joue effectivement un rôle sophistique déterminant dans la diffusion des discours de propagande de guerre et de leurs dispositifs ambiants d’hystérisation. Nous n’y sommes que trop largement soumis en cette époque de crises, à s’y méprendre, savamment séquencées.
Retournons pour finir au syllogisme et à ce qui constitue la trame formelle d’un raisonnement déductif valide, si souvent enfreint dans la vie de tous les jours et dans les bouches rhétoriqueuses de ceux qui ont le pouvoir du discours faussé par son ultra-politisation – idéologique, émotionnelle, sophistique. En matière de raisonnement syllogistique, la règle cardinale est la suivante : si la prémisse est vraie, alors la conclusion doit l’être aussi ; et inversement, elle sera tenue pour fausse lorsqu’elle aboutit à une conclusion erronée. Ainsi, le bien-fondé d’un tel raisonnement syllogistique réside dans sa structure même, laquelle fournit la syntaxe élémentaire de tout jugement inférentiel logiquement valide :
- Tous les F sont des G.
- x est un F.
- ⸫ x est un G.
Mais prenons les deux raisonnements déductifs identiques suivants – tirés, à dessein, de deux domaines à priori différents :
- Tous les énoncés erronés sont des énoncés vrais.
- 2 + 2 = 5 est un énoncé erroné.
- Par conséquent, 2 + 2 = 5 est un énoncé vrai.
Ou encore :
- Tous les pays occidentaux sont des pays souverains.
- La France sous régime macroniste est un pays occidental.
- Par conséquent, la France sous régime macroniste est un pays souverain.
Exemples qui mettent en évidence le fait que, lorsqu’une conclusion se vérifie dans sa validité mais qu’elle s’avère fausse au demeurant, elle ne peut résulter que d’une hypothèse erronée. Autrement dit, dans l’un et l’autre cas, la conclusion est bel et bien valide… sans être vraie ! Il est donc capital de distinguer la « vérité » de la « validité » d’un raisonnement – un problème qui donnera lieu, au XXe siècle, à un approfondissement de la difficulté insoluble propre au « paradoxe du menteur » à travers la démonstration, par Gödel, qu’il existera toujours des énoncés à la fois « vrais » et « indémontrables » en mathématiques[10] (mettant ainsi fin aux espoirs du projet axiomatique hilbertien). Pour ce qui nous intéresse ici dans le cas de simples syllogismes, on retiendra que la validité proprement logique ne dépend que de la forme du raisonnement. Pour évaluer correctement la vérité, l’intelligence (qui, en l’homme, sur ce point notamment, dépasse l’intelligence artificielle) doit s’appuyer sur le sens de ce qui est dit et syntaxisé à travers la forme du raisonnement (le sens est bel et bien irréductible à la syntaxe). Beaucoup de confusions et de dérives à la fois linguistiques et cognitives proviennent de l’ignorance ou de l’oblitération de cette distinction fondamentale…
Considérons enfin, toujours dans l’ordre de l’inférence logique classique régulée par la forme syllogistique en Barbara, le cas de figure d’une proposition erronée débouchant sur une conclusion exacte – cas de figure également instancié à travers d’innombrables cas de raisonnements non examinés au cours du processus habituel de communication entre individus ou de communication médiatique :
- Tous les multiples de 9 sont des nombres pairs.
- 12 est un multiple de 9.
- Par conséquent, 12 est un nombre pair.
Point corrélatif de l’illustration : la vérité d’une conclusion ne garantit pas celle de ses prémisses conditionnelles.
Le syllogisme est une forme largement utilisée du processus de raisonnement déductif. Son mésusage n’est pas moins répandu. Ces quelques illustrations, énoncées de manière plus ou moins caricaturale, s’attachent à attirer l’attention sur quelques points utiles, comme sur le fait que la configuration d’un raisonnement de ce type peut à elle seule en déterminer la validité, sans pour autant produire un énoncé conclusif factuellement avéré ; ou, inversement, produire un énoncé conclusif factuellement avéré, sans pour autant impliquer l’exactitude de ses prémisses.
Pour conclure ici, sans pousser l’idéal logique au point de reprendre le projet leibnizien d’une lingua characteristica universalis et son calcul rationnel de type algorithmique (ou calculus ratiocinator), nous insistons néanmoins sur la place qu’il lui revient d’occuper dans la gestion de la saine communication humaine ; encore plus aujourd’hui, à l’heure ultra-médiatique de l’hystérisation tous azimuts des opinions et des arguments ad verecundiam[11], persuasifs (parfois) en apparence, mais trop souvent fallacieux en réalité. Le démasquage des arguments émotionnels et autres artifices rhétoriques de propagande des masses est une œuvre de santé intellectuelle publique de première importance. Impossible de bien penser dans la dépendance irréfléchie aux sophismes politico-médiatiques ambiants. En démystifier l’emprise, aujourd’hui comme hier, requiert de faire soi-même l’effort quotidien d’une disciple logique élémentaire de la pensée, dont nous avons ici rappelé quelques principes de base.
Implications fallacieuses sur fond de manichéisme hystérisé
Sous la pression du manichéisme ambiant et de mille injonctions idéologiques, la pensée logique ne parvient plus à s’imposer. C’est au point que la notion cardinale d’implication (si…, alors…) s’en trouve elle-même réduite à un mécanisme censé refléter la pseudo-pensée manichéenne aujourd’hui consubstantielle à l’hystérisation politique des débats.
L’une des déductions les plus courantes comportant l’utilisation du conditionnel est le modus ponens, dont nous avons déjà rappelé la forme générale.
Les conditionnels sont une composante incontournable d’une large gamme de nos modes de raisonnement, qu’il s’agisse d’inférences courantes, presque irréfléchies au jour le jour ; ou d’inférences plus élaborées – requises, par exemple, par l’écriture et la codification programmatique. Elles constituent un objet d’étude central de la logique depuis ses origines.
Ainsi, si l’on sait que r ⸧ s (r désignant l’antécédent du conditionnel et s le conséquent), on peut raisonnablement en déduire que ~(r ˄ ~s), ou : « Si r, alors s. Par conséquent, il n’est pas vrai que r et non s (s’impliquent mutuellement) ». Et vice versa, si l’on sait que ~(r ˄ ~s), on peut raisonnablement en déduire que r ⸧ s.
Les conditionnels peuvent être des créatures logiques relativement délicates à manier, dans la mesure où la valeur de vérité de r ⸧ s ne dépend pas de la valeur de vérité de r et de s.
D’où :
(r ⸧ s) ⸧ ((r ∧ s) ⸧ (s ∧ r)).
Cette proposition signifie que si l’implication r ⸧ s est vraie, alors la conjonction (r ∧ s) ⸧ (s ∧ r) est également vraie ; ce qui implique, en outre, ce qu’il fallait vérifier, à savoir que la valeur de vérité de r ⸧ s ne dépend pas de la valeur de vérité de r et de s.
Nous parvenons au même résultat par le moyen de l’implication disjonctive :
(r ⸧ s) ⸧ ((r ∧ ~s) ∨ (~r ∧ s) ∨ (~r ∧ ~s)).
Cette relation propositionnelle signifie, pareillement, que si l’implication r ⸧ s est vrai, alors l’ensemble des combinaisons de valeurs de vérité de r et de s, à savoir (r ∧ ~s) ∨ (~r ∧ s) ∨ (~r ∧ ~s), doit également être vrai. Il s’ensuit que la validité de l’implication r ⸧ s ne dépend pas spécifiquement des valeurs de vérité individuelles de son antécédent et de son conséquent, mais plutôt de l’ensemble des combinaisons possibles de leurs valeurs de vérité.
Autre manière encore de le dire, pour faire sentir la subtilité du raisonnement par implication derrière la simplicité du rapport logique immédiatement perçu :
(r ⸧ s) ⸧ (~r ⸧ s).
Autrement dit, si r ⸧ s est vrai, ~r ⸧ s doit également l’être, et vice versa. La validité de l’implication r ⸧ s ne dépend donc pas de la vérité de r et de s, puisque ~r ⸧ s est également vrai dans tous les cas.
Prenons un simple exemple spatial inspiré par la représentation, en diagrammes logiques de collections finies d’objets abstraits, de la théorie des ensembles :
Si A appartient à B, x appartient à B.
Si l’Ukraine fait partie de la Russie, Kiev fait partie de la Russie.
Les propriétés conditionnelles formalisées ci-dessus peuvent également être illustrées par une simple proposition impliquant les rapports de l’antécédent r et de son conséquent s :
Quand il pleut (r), les enfants restent à l’intérieur (s).
Ce qu’il faut souligner ici, c’est que si nous disons qu’il pleut (r), que ce soit vrai ou non, cela n’affecte en rien le fait qu’en cas de pluie (r), les enfants resteront à l’intérieur (s). De même, quand bien même les enfants restent à l’intérieur (s) pour x autres raisons, cela ne remet pas en cause le fait que, s’il pleut effectivement (r), ils resteront à l’intérieur (s). L’implication r ⸧ s reste donc vraie indépendamment de la situation réelle de la pluie (r) ou de ce que font réellement les enfants (s). Les valeurs de vérité de l’antécédent (r) et de son conséquent (s) ne modifient pas la valeur de vérité de l’implication qui les relie.
Considérons maintenant un premier slogan de type conditionnel fallacieux, parmi beaucoup d’autres semblables émaillant le champ d’influence psycho-linguistique des narratifs de propagande aujourd’hui les plus répandus (surtout à l’université et dans les ministères).
Proposition conditionnelle fallacieuse : « Ne pas affirmer les gens dans leurs délires transitionnels, c’est haïr par transphobie ».
- r : ne pas affirmer les gens dans leurs délires transitionnels ;
- s : haïr par transphobie.
Autrement dit :
Si r, alors s.
Un tel slogan, « manichéisé » dans le but d’alimenter l’hystérie victimaire d’obédience « trans-woke » la plus sotte et la plus grossière qui soit, cherche à stigmatiser toute pensée divergente comme la manifestation d’une « haine transphobe » indubitable.
Or,
r ⸧ ~s.
Autrement dit, ne pas affirmer les gens dans leurs délires transitionnels n’implique pas, en réalité, le fait de haïr qui que ce soit par transphobie. Derrière le mésusage idéologiquement chargé de l’opérateur conditionnel censé relier r et s se cache le cas patent d’un pseudo-argument (un sophisme) coupable de non sequitur. L’univers politico-médiatique contemporain des injonctions idéologiques outrancières et des affirmations encore plus folles qui en découlent est saturé de sophismes de cette espèce. L’implication de fond ici, c’est que c’est la réalité biologique des hommes et des femmes qui opère, en dernière instance, la supposée « haine transphobe » en provenance dérivée de ceux qui refusent de jouer le jeu de la confirmation « vertueuse » d’un délire identitaire réclamant la soumission participative de la société toute entière. Notons bien le caractère causatif second des « haïsseurs » incriminés, puisque l’exercice de leur supposée « haine transphobe » présuppose effectivement l’opération première de la nature factuelle de la différenciation sexuelle réelle à deux valeurs biologiques (masculinité-féminité).
Passons maintenant à quelques exemples de raisonnements manichéistes couchés dans le moule de conditionnels fallacieux s’appliquant au conflit israélo-arabe en Terre Sainte. S’ils sont caricaturaux, ils illustrent cependant parfaitement le type de raisonnement fondamental qui caractérise la rhétorique des discours que nous subissons depuis le 7 octobre dernier.
Raisonnement (sophiste) par inférence erronée : « Israël étant une démocratie menacée au Moyen-Orient, toutes les actions de défense de sa sécurité sont légitimes ».
- t : Israël est une démocratie menacée au Moyen-Orient ;
- u : toutes les actions de défense de sa sécurité sont légitimes.
Autrement dit :
Si t, alors u.
Sans rien connaître des tenants et des aboutissants complexes du israélo-arabe aujourd’hui réhystérisé pour les besoins géostratégiques des États-Unis et ceux, messianistes, des talmudistes millénaristes, on pourrait aisément percevoir que de telles déclarations, impliquées de façon totalement fallacieuse, n’ont plus lieu d’être dès qu’on souligne que telles ou telles autres actions spécifiques pourraient être considérées comme excessives ou disproportionnées par rapport à la réalité de la menace perçue. La légitimité de chaque action doit être évaluée individuellement, en fonction des données de terrain et du respect du droit international.
L’implication fallacieuse, réduite à sa forme la plus ramassée (pour mieux cacher le sophisme), peut se retraduire comme suit :
- t : Israël est attaqué ;
- u : Israël a le droit de se défendre.
Ou,
t ⸧ u.
En guise d’analyse critique contre-sophiste de l’implication ci-dessus, nous pourrions nous contenter de poser les trois questions suivantes, qui ne sont en aucun cas exhaustives :
- Quelles sont les conditions nécessaires, conformément à la législation internationale, pour qu’Israël ait le droit de se défendre ?
- Jusqu’à quelle mesure la défense peut-elle s’exercer avant de devenir disproportionnée ?
- Comment déterminer, de manière impartiale, si Israël est effectivement attaqué ?
Raisonnement (sophiste) par inférence erronée : « Ne pas soutenir l’État d’Israël dans sa volonté d’anéantir le Hamas terroriste procède d’une attitude antisémite ».
- v : ne pas soutenir l’État d’Israël dans sa volonté d’anéantir le Hamas terroriste ;
- w : procéder d’une attitude antisémite.
Autrement dit :
Si v, alors w.
Inutile de s’attarder ici, la confrontation à des accusations d’antisémitisme est une monnaie très courante de notre système ardemment porté à la réprobation préférentielle (sélective) par renversement de la culpabilité raciste.
Raisonnement (sophiste) par inférence erronée : « Les Palestiniens ne veulent pas la paix parce qu’ils soutiennent le terrorisme islamique ».
- g : Les Palestiniens ne veulent pas la paix ;
- h : soutenir le terrorisme islamique.
Que d’amalgames dans cette fausse implication… Encore faudrait-il d’abord démontrer que la totalité de la population palestinienne, ou du moins une majorité significative, rejette activement toute tentative de paix ! Les Palestiniens, dont les quelques 2 millions d’habitants de la bande de Gaza, ne forment pas la population homogène que s’imaginent souvent les Occidentaux. Il s’agit d’une population diversifiée de gens qui, comme ailleurs dans le monde, adoptent des visions politiques, sociales et religieuses différentes. Par ailleurs, le conflit dit « israélo-palestinien » ne se réduit pas à des questions religieuses, mais relève également de paramètres historiques, politiques et socio-économiques aussi complexes qu’épineux. Enfin, quoique la majorité de la population palestinienne soit musulmane, il y existe également une communauté significative de Palestiniens chrétiens. Les racines historiques de certains chrétiens palestiniens dans cette région du monde remontent à l’Antiquité des premières communautés chrétiennes araméophones ayant existé bien avant l’émergence de l’islam.
La diversité religieuse au sein de la population palestinienne atteste donc de l’importance de ne pas réduire le conflit en cours à une simple question de religion ou d’ethnicité attisée de concert par les préjugés wokistes en vogue et par l’antiracisme anti-antisémite institutionnel de la bonne conscience occidentale. Les Palestiniens, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, partagent des préoccupations communes, telles que l’accès à la terre, le respect de leur autodétermination souveraine en tant que peuple, celui encore de leurs droits inaliénables, en tant qu’êtres humains, à ne pas être traités comme des animaux méprisables, tout juste bons à se faire décimer à coups de bombes quotidiennes par une puissance colonialiste sans foi ni loi. La compréhension de ces quelques données élémentaires est évidemment capitale, si l’on souhaite saisir un minimum ce que sont les principaux enjeux et les dynamiques caractéristiques du conflit ouvert en Terre Sainte.
Raisonnement (sophiste) par inférence erronée : « Si solution viable il y a, c’est la solution à deux États ».
- i : Si solution viable il y a ;
- j : la solution à deux États.
Par égalitarisme à l’occidental, beaucoup préconisent l’exclusivité d’une telle solution censée satisfaire un besoin d’équité néanmoins mal-fondée (pour des tas de raisons historiques et géostratégiques dont nous ne dirons rien ici). La viabilité d’une résolution alternative de ce conflit n’est pas simplement excluable – qu’il s’agisse d’un État postulant une citoyenneté égale pour tous, d’une solution à trois États, ou encore d’arrangements territoriaux alternatifs. Le danger provient des procédés habituels de l’Occident (et de ses guerres par procuration), à la recherche d’une certaine détermination extérieure « désintéressée » au service « impartial » des deux parties directement impliquées en Terre Sainte.
Conclusion : la folie autocentrée ou le courage de la loi naturelle
La tension entre l’hystérisation politique (le pathos à la fois stratégique et par trop subi) et le recours à un exercice logique de la pensée n’a, semble-t-il, jamais été aussi prononcée. Certes, parler de logique et en illustrer quelque peu l’immense et irremplaçable valeur ne signifie pas l’absolutiser sous l’inspiration auto-aveuglante du rationalisme d’antan de nos soi-disant « Lumières », ou de celle d’un futurisme informatique entièrement dévoué à la cause, non moins auto-aveuglante, de la prétendue « intelligence artificielle ». Il importe en effet de pouvoir trouver et de préserver l’équilibre entre émotion et rationalité, entre passion et réflexion à froid.
Comme nous avons voulu le montrer ici, en l’espace limité de quelques pages, cette opposition soulève de vastes questions sur la nature même du discours public, de la sacrosainte « démocratie » censée en promouvoir l’expression libre, et de la façon dont les idées sont formulées, présentées, et débattues dans l’arène de la communication de narratifs bien huilés – domaine de prédilection de ceux qu’on nous présente comme nos élites dirigeantes…
Derrière le bruit tapageur et la course incessante à la plus grande renommée et influence politico-médiatique, le terrain de la sphère publique contemporaine est fondamentalement traversé par l’inévitable clivage entre polarisation hystérisée des opinions (fruit pourri de tous les ressorts du poison relativiste ayant pénétré jusque dans les entrailles et le système nerveux de l’intelligentsia occidentale) et lucidité rationnelle à l’école et au service d’une compréhension approfondie du réel. Au-delà des symptômes politico-sociétaux du déclin civilisationnel d’une époque à la dérive des addictions d’écran et de quantité d’autres drogues, le clivage entre ces deux attitudes nous semble constituer la véritable ligne de démarcation entre une interprétation subjective et autocentrée du monde, celle de l’opinionisme et de la satisfaction immédiate ; et une tentative contre-opinioniste de se conformer rationnellement[12] à la réalité, sous les auspices de principes universels – principes subsumés sous la notion de « loi naturelle ».
À l’intérieur des prisons des bulles cognitives de polarisation idéologique, la marginalisation de l’arbitrage logique et de ses principes objectifs et universels indique bien qu’une autre loi a pris l’ascendant sur le fond comme sur la forme de la communication usuelle au XXIe siècle : la loi contrenature de l’amour propre poussé jusqu’à la haine du Bien objectif – qui est aussi Vérité et Beauté objectives…
Le maître mot du pouvoir implique le triple agenda suivant : 1) semer la confusion intellectuelle des esprits dans un monde réduit à la polarisation hystérisée des opinions ; 2) manipuler la perception du public ; 3) censurer ou contrôler l’information (moyennant, entre autres, la suppression de l’information indépendante). Simple et efficace. À l’effort rationnel de compréhension objective du monde (qui inspirait encore certains grands hommes politiques d’un passé relativement proche), d’évaluation critique des informations et de recherche réfléchie de la vérité (qui inspirait encore la presse d’un monde antérieur à notre ère de l’hystérie opinioniste), le paradigme communicationnel aujourd’hui en vigueur préfère la désinformation médiatique (l’imposition de narratifs), la tribalisation politique, le signalement vertueux, l’occupation addictive des esprits via FaKebook, Netflix, TikTok… L’effémination et le narcissisme ont décidément pris le dessus, comme en atteste le type d’ « hommes » occupant les plus hauts postes de la macronie : damoiseaux, filleuls, dégénérés sexuels, mystificateurs, discoureurs bonimenteurs, automates spécialisés dans les bonnes opérations de com…
La folie auto-centrique réside à la fois dans la possession du pouvoir actuel et dans la victimisation d’innombrables personnes qui acceptent encore le conditionnement de leur faculté de penser par résignation à cette structure perverse de domination gangrénée par le mensonge systémique. La solution au rétablissement de la liberté, pour un être rationnel, consiste, par contraste, à se dégager de l’emprise de ce programme inspiré par l’hystérie et la tyrannie narcissique, en suivant humblement le guide et les lois de la raison – non moins celles de la foi, présupposant celles-ci. La logique en ouvre et en balise sûrement le chemin !
[1] Passant, en autres, par le réapprentissage de la logique élémentaire (nous y revenons plus bas).
[2] Du latin (préfixe et radical) inter- + legere, signifiant « choisir entre », « cueillir », « lire », « ramasser », le champ lexical fournissant les assises analogiques de cette aptitude ou capacité intellectuelle qui s’exerce dans l’acte de choisir attentivement, de discerner par raisonnement, de percevoir clairement, de saisir, donc de com-prendre (de « prendre avec », en prise avec le réel et ses données informatrices).
[3] Célèbre terme barbare (pour rappel) de Derrida, maître à penser le néant déconstructiviste de la pseudo-intellectualité française à la racine des délires wokistes contemporains.
[4] D’une presse qui soit encore digne d’en porter le nom.
[5] Grotesquement et haineusement amalgamés à l’islamisme.
[6] Du grec τρόποι, de τρόπος, « mode », ou « manière ». Sur le plan ontologique, les « tropes » se réfèrent aux propriétés particulières et individuelles des objets (ou de leurs relations entre elles), plutôt qu’à des catégories générales. Les Stoïciens, par exemple, y voyaient des impressions sensorielles spécifiques corrélables aux objets particuliers. Élaborant une théorie dite « des tropes », ils l’ont fait consister de propositions composées d’unités signifiantes, les mots ; lesquels, par correspondance sémantique, renvoient aux idées qu’ils signifient sur un double mode de transposition ; ces idées, quant à elles, renvoient aux réalités individuelles proprement signifiées par l’entremise de « tropes ». Les tropes (mégariens, stoïciens, scolastiques) fournissent, par le moyen propositionnel de raisonnements logiques non-syllogistiques, une explication métaphysique cherchant à rendre compte des propriétés individuelles du monde, en les traitant comme des entités distinctes plutôt que comme des caractéristiques abstraites partagées.
[7] Sébastien Renault, L’héritage oublié des scolastiques : pensée et désignation avant l’essor de la logique post-aristotélicienne, Science et Foi (les nouvelles du CESHE) nº 143 et 144, avril et juillet 2022.
[8] Sans entrer ici dans des détails qui dépasseraient les limites de cet essai.
[9] C’est encore monnaie courante en matière de conférence de presse scientifique (une forme de propagande plus ou moins effective, selon l’acuité logique, la culture et la capacité critique du destinataire), qu’il s’agisse de cosmologie des origines (d’un « quelque chose », une supposée « explosion » primordiale, à partir de « rien »), d’évolutionnisme, de climat, de santé publique, d’origine virale de pandémie, de virothérapie, etc.
[10] Établissant le double constat corrélativement impliqué par les deux versants de son théorème d’incomplétude (1931), à savoir que l’énoncé (qu’il dénote « G ») est soit vrai et n’est dès lors pas démontrable ; soit faux et dès lors démontrable. La vérité et la prouvabilité, ne serait-ce qu’en mathématiques, ne sont pas isomorphes. En concevant une fonction codificatrice récursive d’axiomes dit « décidables », de sorte à former chaque entier naturel unique factorisé en un « numéro de Gödel », les théorèmes d’incomplétude aboutissent à un résultat limitatif fondamental s’appliquant d’abord aux théorèmes de base de l’arithmétique. Conséquence capitale, au regard des fondements mêmes de la discipline : une systématisation formelle complète des mathématiques est irréalisable.
[11] Type d’arguments d’autorité s’appuyant sur la crédibilité des experts, sans autre examen critique, sans qu’il soit nécessaire d’en étayer la véracité en passant par les étapes d’une démonstration à proprement parler logique.
[12] Dès lors, aussi, d’une manière impliquant le sacrifice de sa propre ipséité autoréférentielle.