Avortement et crises multiples
Retour sur un extrait d’article de Voltaire Actualité internationale
À l’approche des élections législatives étasuniennes de 2022, Voltaire Actualité internationale offre un article faisant le point sur le climat politique américain, dont voici un extrait :
« À l’approche des élections de mi-mandat (le 8 novembre), les sondages attestent que le vote catholique sera pour la première fois résolument antidémocrate. Au début du mandat du catholique Joe Biden, la Conférence des évêques états-uniens avait posé la question de son excommunication en raison de ses prises de positions extrémistes. Le pape François était intervenu en sa faveur. Toutefois, les fidèles n’acceptent pas ses positions en faveur de la liberté d’avorter durant neuf mois qu’ils assimilent à de l’infanticide. Ils soutiennent au contraire, le droit d’avorter jusqu’à 15 semaines. Contrairement à une idée répandue, si l’Église catholique a condamné l’avortement à l’époque moderne, elle l’autorisait auparavant tant que le fœtus n’était pas viable (Somme théologique de St. Thomas d’Aquin).
L’autre grand sujet de désaccord est la volonté du président de soutenir la théorie du choix du genre et de priver les parents du pouvoir de s’opposer à un changement de sexe de leurs enfants. Le sondage, mené dans six États clés, montre que les catholiques soutiennent onze candidats républicains contre un seul démocrate. » (4 novembre 2022, n° 13, p. 2-3).
L’objet de notre réponse à cet extrait, que nous écrivons le 5 novembre 2022, est simplement de répondre à cette analyse hâtive, boiteuse et confuse sur plusieurs points.
Un regard européen biaisé sur les États-Unis
Cet article se méprend d’abord sur ce qui motive au premier chef les électeurs américains à l’approche des prochaines élections législatives étasuniennes. On peut remarquer que la lecture française tend de manière assez symptomatique à se focaliser sur le domaine sociétal (projetant sa propre fixation biaisée sur ce qui se passe réellement aux États-Unis) et trahit par-là son propre parti pris (même implicite) en faveur de l’extermination in utero (« IVG ») et de toutes les déviances poly-sexuelles à la mode, conçues comme des « libertés civiles ».
Désapprobation grondante de Joe Biden et du bidenisme par les Américains
Revenons au réel étasunien : les gens, y compris un bon nombre de soi-disant catholiques de gauche traditionnellement démocrates, sont arrivés à la limite de leur capacité de tolérance vis-à-vis du libéralisme débridé et complètement déconnecté du réel de l’actuelle gauche américaine hyper-capitaliste, covidiste et belliciste, ouvertement démoniaque et sectaire.
Plus fondamentalement, une majorité silencieuse en a surtout soupé des actions politiques objectivement démentielles qui ont conduit, sous le régime bideniste, à l’effondrement de l’économie (destruction délibérée du réseau d’oléoducs Keystone et de l’indépendance énergétique du pays), au démantèlement des forces de police et à la criminalité domestique galopante (au nom du racisme anti-raciste institutionnel), à la suppression calculée de la sécurité aux frontières, en particulier dans le sud du pays. Tels sont les principaux motifs derrière le bouleversement escompté de la politique américaine qui, à condition que Big Tech et ses alliés de l’État profond faillissent à leur « mission » d’orchestration d’une autre opération de fraude électorale massive, vont prochainement provoquer la chute des démocrates et les priver de la majorité à la Chambre et au Sénat.
Saint Thomas d’Aquin et l’avortement
Pour ce qui regarde le recours à saint Thomas d’Aquin en vue de « justifier » la tendance de certains « catholiques » contemporains à valider l’avortement jusqu’à 15 semaines, il est à la fois malavisé et extrêmement malhonnête. Saint Thomas n’en a jamais fait une doctrine, mais a exprimé, pour un temps, une opinion fondée sur des hypothèses erronées en matière d’embryologie à son époque. À cet égard particulier, le XIIIe siècle a plus ou moins entretenu une conception qui n’était pas du tout celle de l’Église primitive (nous allons y revenir). Nous disons bien « entretenu », parce que, encore une fois, il n’a jamais été question pour les théologiens médiévaux de définir clairement la question du statut du fœtus (dont l’humanité, en dernier recours, ne leur aurait nullement échappé).
Le gradualisme en embryologie
Dans sa section de la secunda pars secundae, question 64 traitant du meurtre, saint Thomas n’aborde pas directement l’extermination d’un enfant dans le ventre de sa mère, mais semble suggérer qu’existerait un gradualisme de nature dans le cours de la génération… de l’homme ; gradualisme de nature impossible, mais invoqué aujourd’hui pour repenser l’embryologie fœtale à l’aune des habitudes abortives contemporaines, au moins pendant les quinze premières semaines de grossesse :
« C’est pourquoi, de même que dans la génération d’un homme, il y a d’abord un être vivant, puis un animal, et enfin un homme… » [1]
Il déclare toutefois que le meurtre intentionnel d’un fœtus animé (autrement dit, d’une âme rationnelle) constitue toujours un homicide :
« Celui qui frappe une femme enceinte accomplit un acte illicite ; si donc il en résulte la mort de la femme ou du fœtus animé, il ne sera pas excusé d’homicide… » [2]
Saint Thomas d’Aquin conçoit d’abord l’interaction entre le spermatozoïde et le sang menstruel féminin comme matrice de la corporéité embryonnaire primaire (à l’époque de la rédaction de son Commentaire sur les Sentences). D’après cette conception, qui ne peut évidemment pas s’appuyer sur une vision scientifiquement aboutie de l’embryologie humaine, la formation du corps embryonnaire commence sous l’influence d’une âme dite « végétative » (une âme vivante mais non sensible). Une fois la matière corporelle suffisamment informée moyennant ce principe d’influence végétatif, l’âme végétative donne lieu à une âme dite « animale » (une âme sensible mais non rationnelle). Une fois la corporéité fœtale suffisamment organisée moyennant ce principe d’influence animale, l’embryon peut alors recevoir une âme proprement dite « rationnelle » (l’objet de l’acte divin d’infusion du principe d’individuation humain). Ce schéma temporellement tripartite explique pourquoi certains arguments en faveur de l’avortement ont tenté d’en appeler à cette conception préliminaire du Docteur angélique.
Contre l’embryologie foetale préhumaine
Pour autant, les scolastiques et saint Thomas lui-même ont vigoureusement rejeté l’opinion d’une embryologie fœtale préhumaine, dans la mesure où elle ne concorde pas avec la vérité révélée de l’Incarnation du Verbe, conçu dans le sein de la Vierge (elle-même conçue immaculée, comme l’a notamment soutenu, à raison, Jean Duns Scot, 1266 – 1308). En effet, comment Dieu Lui-même, en Son Incarnation rédemptrice, pourrait-Il avoir été quelque chose de moins qu’humain pendant une certaine période de gestation dans le sein de la Vierge des vierges ? Une saine théologie fait ainsi la lumière sur ce que confirme finalement l’embryologie aujourd’hui : un nouvel individu est chromosomiquement distinct en tant que tel lorsque survient la fécondation, résultant de l’union d’un spermatozoïde et d’un ovule ; autrement dit, dès le premier instant de sa conception.
La science validée par la théologie
La théologie vient suppléer au domaine strictement embryologique pour affirmer, à la lumière de la raison et de la révélation, que l’infusion de l’âme par Dieu, dans le cadre de ce qu’on appelle à juste titre procréation, coïncide précisément avec la conception : l’union d’un spermatozoïde et d’un ovule implique la causalité matérielle des parents, de sexes nécessairement distincts ; le principe ontologique d’individuation capable d’animer le corps du nouvel enfant conçu implique quant à lui la causalité formelle et efficiente de l’infusion de l’âme par Dieu. Telle est la procréation. Cet acte est intrinsèquement sacré, puisqu’il implique l’union d’une âme immortelle à un donné génétique corporel moyennant un acte divin (irréductible à l’action humaine naturelle des parents).
L’avortement et l’Église primitive
On soulignera enfin que des figures clés parmi les Pères de l’Église et autres auteurs de référence de l’Église primitive ont condamné explicitement le meurtre in utero. C’est le cas, en particulier, de Tertullien (155 – 220), condamnant, comme il se doit, les « tueurs d’embryons », comme on le lit en plusieurs endroits de son Apologeticus pro Christianis (Un apologiste des chrétiens) :
« Dans notre cas, le meurtre étant une fois pour toutes interdit, il ne nous est pas permis de détruire le fœtus dans le ventre de sa mère… »
Et de poursuivre :
« Empêcher une naissance n’est que tuer plus rapidement. Il n’y a aucune différence selon que l’on détruit une vie qui est déjà née ou une vie qui est en train de naître. C’est [déjà] un homme [caché] qui va en être un [ouvertement] ; vous avez déjà le fruit dans sa graine. » (L. IX, 6)
Dans son ouvrage De Anima (Sur l’âme), on lit en outre ce qui suit, parmi de nombreux passages de la même veine :
« […] C’est pourquoi il y a parmi les armes des médecins un instrument par lequel, appliquant un mouvement rotatif, on ouvre d’abord les parties génitales ; puis, avec un instrument cervical, en faisant preuve d’un jugement prudent [Tertullien insiste par-là sur le caractère on ne peut plus délibéré et étudié de cet acte], on abat les membres intérieurs, au moyen d’une lame épointée, de sorte que tout le fait criminel est exécuté par un accouchement violent. Il y a aussi l’aiguille de bronze par laquelle l’égorgement est effectué comme par un voleur dans l’obscurité ; cet instrument est appelé couteau à embryon en vertu de sa fonction d’outil d’infanticide, car il est mortel pour l’enfant vivant. » (L. XXV)
Ce défenseur valeureux du christianisme n’a jamais laissé planer le moindre doute sur la nature objectivement meurtrière de l’ « IVG », dès le premier instant de la conception d’un enfant dans le ventre de sa mère.
On notera quelques références supplémentaires des temps apostoliques primitifs de l’Église condamnant explicitement le meurtre in utero, et la réitération de cette condamnation sous la plume de plusieurs auteurs patristiques (nous n’en citons que quelques-uns).
Dans le texte de la Didachè (du grec Διδαχή), ou Enseignement des Apôtres (datant des années 70 à 80 de notre ère) – texte particulièrement éminent par son antiquité et son autorité incontestées – on lit ce qui suit :
« Le deuxième commandement de l’Enseignement [des Apôtres] stipule [les préceptes suivants] : Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne séduiras pas les garçons. Tu ne commettras pas de fornication. Tu ne voleras pas. Tu ne pratiqueras pas la magie. Tu n’utiliseras pas de potions. Tu ne te feras pas avorter et tu ne détruiras pas un nouveau-né. » (Didachè 2, 1-2)
L’Épître de Barnabé, ressortant de la même antiquité que la Didachè, réitère la même doctrine, en marquant très logiquement que la continuité in et post-utero implique le même interdit (NB : le parti démocrate américain va aujourd’hui jusqu’à promouvoir l’avortement sans restriction jusqu’au moment de la naissance ; et même au-delà de celle-ci, si la mère, en accord avec son médecin, souhaite se débarrasser de l’enfant, pour quelque raison personnelle [3]) :
« […] Tu ne tueras pas l’enfant en le faisant avorter ; et tu ne le détruiras pas non plus après sa naissance. »
Dépénalisation de l’infanticide en Californie
Notons également, pour en revenir à la situation présente aux États-Unis, qu’un « projet de loi » en Californie, classé sous le nom d’archive AB 2223 [4], a été adopté il y a quelques mois dans l’optique de dépénaliser l’infanticide, au bout du compte, et de transposer en conséquence ledit projet en loi effective au service du « droit reproductif » sans entrave. Tels sont les chemins prétendument « légaux » qu’emprunte notamment le principal organe de planification familiale aux États-Unis, Planned Parenthood, pour tirer profit de la vente de parties de corps de bébés par le biais d’avortements pratiqués à leur naissance…
Revenons aux premiers siècles de notre ère. En 314, le concile d’Ancyre (aujourd’hui Ankara, la capitale de la Turquie), en son vingt-et-unième canon, décrètera :
« En ce qui concerne les femmes qui se prostituent et détruisent ce qu’elles ont conçu, et qui se font un devoir de concocter des abortifs, l’ancienne règle les excluait jusqu’à l’heure de la mort, et elles étaient laissées sans recours. Cependant, désirant user d’une plus grande clémence, nous avons fixé la peine à dix ans, conformément aux degrés fixes. »
Quelques années après le concile d’Ancyre, dans sa Canonica prima (Lettre 188 à l’évêque Amphiloque d’Iconium), Basile de Césarée (saint Basile le Grand) passera en revue ses différents canons. Selon la nomenclature de son ouvrage en trois Lettres canoniques, le cas des femmes coupables du crime de l’avortement relève du second canon. Il écrit :
« La femme qui détruit délibérément son enfant à naître est coupable de meurtre. Chez nous, il n’est pas question de savoir s’il est formé ou non. Dans ce cas, ce n’est pas seulement l’être à naître qui est défendu, mais la femme dans son attaque contre elle-même ; car, de fait, dans la plupart des cas, les femmes qui entreprennent de telles tentatives meurent. La destruction de l’embryon est un crime supplémentaire, un second meurtre, en tout cas si on la considère comme intentionnelle. Cependant, ces femmes ne devraient pas être punies à vie, mais pour une durée de dix ans. Et que leur traitement ne dépende pas du simple écoulement du temps, mais du caractère de leur repentir. »
Toujours au IVe siècle, le grand saint Jérôme écrit, dans sa Lettre 22 :
« Je ne peux me résoudre à parler des nombreuses vierges qui, chaque jour, tombent et se perdent […] qui vont jusqu’à prendre des potions afin de s’assurer la stérilité, et assassinent ainsi leur progéniture presque avant leur conception […] D’autres, lorsqu’elles se trouvent enceintes à cause de leur péché, se droguent pour se faire avorter ; et lorsqu’elles meurent avec leur progéniture, comme cela arrive souvent, elles entrent dans le monde inférieur chargées de la culpabilité non seulement de l’adultère contre le Christ, mais aussi du suicide et du meurtre d’enfants. »
Contemporain de saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, dans son Homélie 24 sur les Romains, commentant le chapitre 13, verset 14, écrit, en guise d’exhortation :
« C’est pourquoi je vous en conjure, fuyez l’impudicité […] Pourquoi semer là où la terre se charge de détruire le fruit, là où beaucoup d’efforts sont [ensuite] entrepris pour avorter, là où il y a le meurtre avant la naissance ? Car même la prostituée, vous ne la laissez pas continuer à n’être qu’une prostituée, mais vous en faites en outre une meurtrière […] je n’ai pas de nom pour qualifier [cet acte], puisqu’il n’extirpe pas [seulement] l’être conçu, mais empêche sa naissance. Pourquoi donc abuser du don de Dieu et combattre ses lois, et suivre ce qui est une malédiction comme si c’était une bénédiction ; et faire de la chambre de la procréation une chambre de tuerie ; et armer la femme qui a été donnée pour enfanter, en vue de commettre un massacre ? »
C’est clair, nul besoin d’être exhaustif. Les temps actuels sont marqués par une régression morale profonde et redoutable. Le massacre quotidien d’enfants à naître en apporte une démonstration particulièrement criante, malgré la virulence du déni et des raisonnements justificateurs (« droits reproductifs », « droit de choisir », etc.).
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[1] « […] Et inde est quod sicut in generatione hominis prius est vivum, deinde animal, ultimo autem homo… » (ST, IIa-IIae q. 64 a. 1 co.)
[2] « [Q]uod ille qui percutit mulierem praegnantem dat operam rei illicitae. Et ideo si sequatur mors vel mulieris vel puerperii animati, non effugiet homicidii crimen… » (ST, IIa-IIae q. 64 a. 8 ad. 2.)
[4] https://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billTextClient.xhtml?bill_id=202120220AB2223.
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