Retour sur un épouvantable massacre de chrétiens commis par les juifs en Palestine, en l’an 614.
Publié par Israël Shamir le 24 avril 2001.
Tout va très vite de nos jours. Hier encore, c’est tout juste si nous osions qualifier « d’apartheid » la politique israélienne de discrimination officielle à l’égard des Palestiniens. Aujourd’hui, tandis que les chars et les missiles de Sharon pilonnent des villes et des villages sans défense, le terme suffit à peine à exprimer la réalité. Désormais, rien ne justifie plus qu’on s’en prévale pour insulter les tenants de la suprématie blanche à l’instar de l’Afrique du Sud. Après tout, ces Blancs n’ont pas employé de canons ni de chars contre les indigènes, pas plus qu’ils n’ont assiégé Soweto. Ils n’ont pas refusé de reconnaître l’humanité de leurs cafres. Mais les tenants de la suprématie juive, eux, n’ont pas hésité à sauter le pas. Par un coup de baguette magique, ils nous ramènent à l’époque de Josué et de Saül.
La quête du mot juste se poursuit. Non sans courage, Robert Fisk propose de qualifier les événements de Palestine de « guerre civile ». Si c’est cela une guerre civile, alors on peut dire que l’abattage d’un agneau est une corrida. La disparité entre les forces en présence est tout simplement trop forte. Non, vous autres citoyens de Virginie, il ne s’agit pas d’une guerre civile mais d’un génocide rampant.
C’est à ce moment, dans notre saga, que le bon Juif est censé sortir son mouchoir et s’exclamer : « Comment se peut-il que nous, éternelles victimes de persécutions, commettions de tels crimes ! ». Eh bien, cessez de retenir votre souffle dans l’attente d’un tel discours. On a déjà vu ça et il est probable que cela se reproduira.
Les Juifs ne sont pas plus assoiffés de sang que le reste de l’humanité. Mais l’idée folle d’être le « Peuple élu », la notion de suprématie d’une race ou d’une religion sont des moteurs de génocide. Si vous croyez que Dieu a choisi votre peuple pour gouverner le monde, si vous pensez que les autres ne sont que des sous-hommes, vous serez punis par ce même Dieu dont vous aurez en vain invoqué le nom. Il ne vous transformera pas en charmante petite grenouille mais en assassin délirant.
Quand, dans les années 30, les Japonais ont eu vent de l’existence de cette pathologie, ils ont violé Nankin et dévoré le foie de leurs prisonniers. Imbus de leur complexe de supériorité aryenne, les Allemands ont accumulé les cadavres à Babi Yar. Ayant lu attentivement Josué et le Livre des Juges, les pères pèlerins, fondateurs des Etats-Unis, ont voulu ceindre leur front de la couronne des « Élus » et ce faisant, ils ont pratiquement réussi à exterminer les peuples indigènes d’Amérique.
Les Juifs ne font pas exception. A la sortie de Jérusalem dite « Porte de Jaffa », existait autrefois une petite agglomération du nom de Mamilla, qui a été détruite il n’y a pas si longtemps par des promoteurs immobiliers. A la place, on trouve aujourd’hui un monstrueux « village » accueillant les très grosse fortunes, contigu au luxueux hôtel Hilton. Un peu plus loin, s’étendent le vieux cimetière de Mamilla où repose la noblesse arabe, et le réservoir d’eau de Mamilla que Ponce Pilate avait fait aménager. Au cours des travaux de génie civil, les ouvriers sont tombés sur une caverne funéraire abritant des centaines de crânes et d’os. Cette caverne était ornée d’une croix et d’une inscription : « Dieu seul sait leurs noms ». La Revue d’archéologie biblique éditée par le Juif américain Herschel Shanks a publié une longue narration[i] de cette découverte que l’on doit à l’archéologue israélien Ronny Reich.
C’est en 614 après Jésus-Christ, année la plus effroyable de l’histoire de la Palestine avant le XXe siècle, que les défunts ont été amenés pour y dormir du sommeil du juste. Dans son ouvrage intitulé Historical Geography of Palestine, l’universitaire écossais, Adam Smith, écrit qu’encore aujourd’hui, l’effroyable dévastation de 614 est visible sur le terrain. Les blessures n’ont jamais pu se refermer.
En 614, la Palestine faisait partie de l’Empire byzantin, qui avait succédé à l’Empire romain. C’était une terre prospère, à prédominance chrétienne, où l’agriculture était bien développée, les eaux canalisées et les terrasses soigneusement aménagées. Les pèlerins affluaient en masse vers les Lieux saints, et les édifices construits par Constantin, le Saint-Sépulcre et l’Ascension au mont des Oliviers figuraient parmi les merveilles du monde construites par l’homme. Huit monastères égayaient les étendues sauvages de Judée. On y collectionnait des manuscrits précieux et l’on y priait. Les Pères de l’Église, Saint Jérôme de Bethléem et Origène de Césarée, vivaient encore dans les mémoires.
En plein milieu vivait aussi une petite communauté juive, fort riche, qui s’était installée principalement à Tibériade et sur les rives du Lac. Ses docteurs venaient juste d’achever leur version du Talmud qui codifiait leur foi, le judaïsme rabbinique. Pour autant, chaque fois qu’ils avaient besoin de directives, ils s’en remettaient à la communauté juive dominante de la Babylone perse.
En 614, les Juifs de Palestine se sont alliés à leurs coreligionnaires babyloniens pour prêter main forte aux Perses dans leur conquête de la Terre sainte. A la suite de la victoire perse, les Juifs ont perpétré un holocauste massif des Gentils de Palestine. Ils ont incendié les églises et les monastères, tué les moines et les prêtres, et brûlé les Livres. La charmante basilique des Poissons et des Pains de Tabgha, l’Ascension sur le Mont des Oliviers, Saint Étienne, en face de la Porte de Damas, et Hagia Sion, sur la colline du même nom ne sont que quelques exemples parmi les plus notables de l’éradication des édifices religieux. De fait, très peu d’églises ont survécu à l’attaque. La Laure de Saint Sabas, site extraordinaire niché dans la vallée sans fond du Wadi an-Nar, n’a dû son salut qu’à sa situation reculée et aux rochers escarpés qui l’environnent. L’église de la Nativité a survécu par miracle : lorsque les Juifs ont ordonné sa destruction, les Perses ont regimbé. Ils avaient cru voir dans la mosaïque représentant les rois mages au-dessus du linteau le portrait de quelque roi perse.
Mais le pire de ces crimes n’est pas cette dévastation. Lorsque Jérusalem s’est rendue aux Perses, des milliers d’habitants chrétiens se sont retrouvés prisonniers de guerre et ont été menés, tels un troupeau conduit à l’abattoir, tout près du réservoir de Mamilla. L’archéologue israélien Ronny Reich écrit : « Ils ont probablement été vendus au plus offrant. [Selon certaines sources,] les captifs chrétiens du réservoir de Mamilla ont été achetés par des Juifs et mis à mort sur le champ ». Témoin oculaire, Strategius de Saint-Sabas, nous donne un compte rendu plus précis : « Les Juifs ont payé une grasse rançon aux soldats perses pour s’emparer des Chrétiens et les ont massacrés avec délectation au réservoir de Mamilla qui débordait de sang ». Rien qu’à Jérusalem, les Juifs ont massacré 60 000 chrétiens palestiniens. A l’époque, la Terre ne comptait probablement que quelque 50 millions d’habitants, soit 100 fois moins qu’aujourd’hui. Quelques jours plus tard, ayant compris l’ampleur du massacre, les soldats perses ont empêché les Juifs de poursuivre leurs exactions.
Il faut rendre justice à l’archéologue israélien Ronny Reich dans la mesure où il n’a pas cherché à imputer les massacres aux Perses, comme cela se fait couramment aujourd’hui. Il admet que « l’Empire perse ne reposait pas sur des principes religieux et était effectivement enclin à la tolérance religieuse ». Il est évident que ce brave homme aurait quelques difficultés à publier des articles dans le New York Times. Pourtant, Deborah Sonntag, correspondante de ce journal en Israël, n’hésiterait pas à décrire ce massacre comme « un acte de représailles des Juifs souffrant sous la férule des Chrétiens ».
L’holocauste des Palestiniens chrétiens de 614 a fait l’objet d’une volumineuse documentation. Il est décrit dans des ouvrages anciens comme les trois volume de l’Histoire des Croisades de Runciman, par exemple. Quant aux guides modernes et aux livres d’Histoire, la censure est passée par là. C’est bien dommage car si on ne sait pas ce qu’il en est, il est impossible de comprendre les dispositions du traité conclu en 638 entre les habitants de Jérusalem et le calife Omar ibn Khattab. Dans le Sulh al Quds, nom sous lequel on connaît ce traité de capitulation, le patriarche Sofronius exige, et le puissant dirigeant arabe accepte, de soustraire la population de Jérusalem à la férocité des Juifs.
Après la conquête arabe, une majorité de Palestiniens juifs ont accepté le message de l’Envoyé d’Allah, tout comme la majorité des Palestiniens chrétiens quoique pour des motifs différents. Pour les Chrétiens du cru, l’Islam était une sorte de christianisme nestorien sans les icônes, sans l’intervention de Constantinople et sans les Grecs. (Jusqu’à ce jour, la domination grecque de l’Église palestinienne continue de poser problème aux Chrétiens de la région).
Aux yeux du tout venant des Juifs de la région, l’Islam n’était qu’un retour à la foi d’Abraham et de Moïse. Il faut bien reconnaître que, de toute façon, ces gens-là étaient incapables d’appréhender les complexités de la nouvelle foi babylonienne. La majorité d’entre eux se sont faits musulmans et se sont mélangés à la population de Palestine. D’ailleurs, l’adaptation des Juifs à l’Islam ne s’est pas arrêtée au VIIe siècle. Mille ans plus tard, soit au XVIIe siècle, les grands leaders spirituels de la communauté séfarade nouvellement fondée en Palestine, Sabbatai Zevi et Nathan de Gaza, héritiers de la glorieuse tradition mythique espagnole d’Ari, le Saint de Safed, ont également embrassé « la loi de la miséricorde », nom qu’ils donnaient à l’Islam. Leurs descendants, compagnons d’ Ataturk, ont d’ailleurs sauvé la Turquie de l’assaut des troupes européennes pendant la première Guerre mondiale.
Pourquoi les Juifs d’aujourd’hui se sentiraient-ils coupables des méfaits de leurs ancêtres ? Aucun fils n’est responsable des péchés de son père. Israël aurait pu transformer le charnier de Mamilla, sa chapelle byzantine et ses mosaïques, en un petit mémorial du souvenir, rappelant à ses citoyens une page effroyable de l’histoire de leur terre, mais aussi les dangers de la suprématie génératrice de génocide. Pourtant, les autorités israéliennes ont préféré démolir le tombeau et le transformer en parking. Précisons que nul ne s’est insurgé contre cette démarche.
Les dépositaires de la conscience juive, Amos Oz et d’autres, ont bien élevé des objections contre la destruction de vestiges de l’Antiquité, mais à aucun moment contre celle du tombeau de Mamilla. En revanche, ils ont fait circuler une pétition à l’encontre des gardiens du complexe religieux du Haram as-Sharif pour avoir creusé une tranchée de quelques centimètres afin de poser une nouvelle canalisation. Peu leur importait que, dans une page de chroniques et de commentaires du quotidien Haaretz, le principal archéologue israélien de la région eût nié que les travaux à la mosquée aient quoi que ce soit à voir avec la science. Ils se sont obstinés à les décrire comme « un acte barbare des musulmans dans le but d’éradiquer le patrimoine juif de Jérusalem ». A mon grand étonnement – et à mon grand regret – j’ai constaté que le nom de Ronnie Reich figurait parmi les signataires. On aurait pu penser que lui, au moins, aurait su leur dire qui avait éradiqué les vestiges du patrimoine juif du réservoir de Mamilla.
Pourquoi ai-je voulu raconter l’histoire du bain de sang de Mamilla ? Parce qu’il n’y a rien de plus dangereux que le pharisaïsme et le sentiment de victimisation perpétuelle, confortés par une vision unilatérale de l’Histoire. Là encore, les Juifs ne font pas exception. Eric Margolis du Toronto Sun[ii] a parlé dans ses articles des Arméniens rendus furieux par l’histoire de leur propre holocauste. C’est ainsi qu’ils ont massacré leurs pacifiques voisins d’Azerbaïdjan par milliers dans les années 1990 et provoqué l’exil de 800 000 habitants de la région, qui n’étaient pas Arméniens. Margolis conclut en disant « il est temps de reconnaître toutes les horreurs du monde ».
Lorsqu’elle est censurée, l’Histoire présente une image biaisée de la réalité. Admettre le passé est une étape incontournable sur la voie de l’équilibre mental. Pour avoir admis les crimes de leurs pères et s’être confrontés à leurs défaillances morales, les Allemands et les Japonais sont devenus des peuples plus humbles, moins orgueilleux, proches du reste de l’humanité. Mais nous autres, Juifs, ne sommes jusqu’à présent jamais parvenus à exorciser l’esprit hautain d’un peuple qui se veut « élu », et c’est pourquoi nous nous trouvons face à une situation parfaitement insoluble.
Tout cela pour dire que l’idée de notre suprématie se perpétue et continue de nous conduire au génocide. En 1982, Amos Oz[iii] avait rencontré un Israélien qui partageait avec lui le fantasme de devenir une sorte de Hitler juif pour les Palestiniens. Or, lentement, ce rêve est en train de devenir réalité.
En première page du quotidien Haaretz est parue une publicité [iv], qui n’était autre qu’une fatwa signée par un groupe de rabbins. Ces rabbins proclamaient l’identification théologique d’Ismaël (c’est-à-dire les Arabes) à « Amalek ». Dans la Bible, « Amalek » est le nom d’une tribu qui a donné du fil à retordre aux enfants d’Israël. Dans cette histoire, le Dieu d’Israël ordonne à son Peuple d’exterminer totalement cette tribu sans épargner son bétail. Mais le roi Saul a bâclé le travail. Bien sûr, il a exterminé tous ces gens mais il a oublié de tuer les jeunes filles nubiles qui n’avaient pas encore contracté mariage. Cette « erreur » lui a coûté sa couronne. De nos jours, l’obligation d’exterminer le peuple d’Amalek demeure inscrite dans la doctrine juive quoique personne, pendant des siècles, n’ait associé une nation vivante à la tribu maudite.
Il est pourtant une exception qui prouve à quel point cette sentence est dangereuse. A la fin de la deuxième Guerre mondiale, un certain nombre de Juifs, dont feu le Premier ministre Menachem Begin, ont voulu voir dans les Allemands l’incarnation de la tribu d’Amalek. De fait, Abba Kovner, juif pieux fervent socialiste et combattant contre les Nazis, avait, en 1945, ourdi un complot visant à empoisonner le réseau d’adduction d’eau des villes allemandes et à tuer « six millions d’Allemands ». Kovner s’est procuré du poison auprès de celui qui allait devenir le Président d’Israël, Efraim Katzir. Ce dernier avait cru comprendre que l’intention de Kovner n’était que d’empoisonner « quelques » milliers de prisonniers de guerre allemands. Fort heureusement le complot a été éventé et des officiers britanniques ont arrêté Kovner dans un port européen. Cette histoire a été publiée l’an dernier en Israël, dans une biographie de Kovner rédigée par le Professeur Dina Porat, directrice du Centre de recherches sur l’antisémitisme à l’université de Tel-Aviv[v].
Pour dire les choses simplement, la fatwa des rabbins nous affirme que notre devoir religieux est de tuer tous les Arabes, y compris les femmes, les enfants et le bétail, et de n’épargner quiconque, pas même les chats. Pourtant, le quotidien libéral Haaretz, dont le rédacteur en chef et le propriétaire sont suffisamment instruits pour comprendre la fatwa, n’ont pas hésité à publier cet appel.
Récemment, certains militants pro-palestiniens m’ont critiqué pour avoir collaboré avec l’hebdomadaire russe Zavtra dans lequel les opinions exprimées sont plutôt minoritaires, et pour avoir cité l’hebdomadaire américain Spotlight. Je me demande pourquoi ils ne m’ont pas blâmé d’avoir écrit dans Haaretz. Pour autant que je sache, ni Zavtra ni Spotlight n’ont jamais appelé au génocide.
Il serait injuste de jeter l’opprobre exclusivement sur Haaretz. Le Washington Post, autre journal juif à fort tirage, a publié un appel tout aussi passionné prônant le génocide, signé Charles Krauthammer[vi]. Ne pouvant tabler sur la connaissance de la bible de son lectorat, cet adepte du roi Saül renvoie au massacre des troupes irakiennes en déroute perpétré par le général Colin Powell à la fin de la guerre du Golfe. Krauthammer cite les propres termes de Powell parlant de l’armée irakienne. « D’abord, nous allons leur couper la route, et ensuite nous allons tuer tout ça ». Pour Krauthammer, qui choisit avec soin ses citations, une multitude d’Arabes assassinés ne mérite pas que l’on humanise l’expression en parlant « d’eux ». Il se contente de dire « ça ». Aux derniers stades de la guerre du Golfe, des Irakiens désarmés faisant retraite ont été assassinés en masse et de sang froid par l’armée de l’Air américaine, leurs cadavres ont été enterrés au bulldozer dans le sable du désert, dans d’immenses charniers qui ne portent pas de nom. Selon les estimations, les victimes de cette hécatombe se chiffreraient entre cent mille et un demi million. Dieu seul sait leur nom…
Krauthammer souhaiterait que ce « haut fait » se reproduise en Palestine. D’ailleurs, l’armée israélienne a déjà divisé « ça » en soixante-dix lots. Maintenant « ça » est prêt pour le grand massacre. « Tuez-moi tout ça » revendique Krauthammer dans le feu de la passion. Il craint probablement que les Perses veuillent à nouveau enrayer le bain de sang avant que le réservoir de Mamilla ne déborde. Si nous avons quelque chose à espérer, notre espoir est à la mesure de nos craintes.
http://israelshamir.net/French/mamilla.shtml
Original en anglais : http://israelshamir.net/English/mamilla.htm
[i] BAR, 1996, v 22 No 2
[ii] 22.04.2001
[iii] Here and there in the Land of Israel, Amos Oz
[iv] 21 novembre, 2000
[v] Haaretz, 28 avril 2001
[vi] Washington Post, 20 avril 2001